dimanche 22 juillet 2018

J'APPELLE MES FRERES - Avignon OFF 2018

REGARD INTROSPECTIF D'UNE COMMUNAUTÉ BLESSÉE
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Amor a passé la nuit en boite de nuit. Quand il en sort il sent que quelque chose a changé mais ne sait dire quoi. Dans sa déambulation citadine il sent les regards, de plus en plus pesants. Son meilleur ami ne cesse de l'appeler mais il ne veut pas lui parler. Ils ont grandi ensemble dans la cité mais leurs chemins ont divergé. L'un a fait des études, a quitté la cité, l'autre s'est arrêté plus tôt et vit d'une petite affaire dans le bâtiment.

Deux parcours, deux quêtes identitaires. Mais tous deux confrontés à une situation nouvelle. Un attentat a eu lieu. Le portrait robot du présumé assassin leur ressemble, met en cause une communauté. 

"Je ne sais pas si l'ambiance a changé ou si c'est moi qui imagine des choses"

Inconscient de ce qui vient d'arriver, Amor semble perdu dans ce nouveau monde. Lui qui est né dans ce pays, dont les parents sont venus d'ailleurs, lui qui croit connaître tout de cette société, ne sait plus qui il est. Le regards que les autres posent désormais sur lui, regard inquiet et accusateur, le perturbe, réveille des peurs qu'il ne connaissait pas. Soudain, par un fait qui lui est étranger, il se sent inadapté.

L'oeuvre de Jonas Hassen Khemiri est axée sur la place de l'étranger dans la société occidentale. Noémie Rosenblatt découvre ce texte après les attentats de 2015 à Paris. Il rassemble les interrogations d'une communauté : comment accepter qui l'on est et assumer cette complexité sans avoir à se justifier ou à choisir ? Comment apaiser les blocages ? Comment vivre ensemble ? Amor n'est pas un héros, seulement un jeune homme d'aujourd'hui.

La mise en scène de Noémie Rosenblatt inscrit l'action dans un décor urbain, fait de blocs, de cages en ferraille. Un environnement modulaire. Dans chaque ville où se joue "j'appelle mes frères" il est fait appel à une troupe amateur qui se mêlent aux acteurs. Choeur des habitants de la ville, reflet de sa diversité. Une façon de dire que cette question de l'identité et de la place de l'étranger concerne tout le monde.

J’appelle mes frères, de Jonas Hassen Khemiri, traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy, mise en scène de Noémie Rosenblatt, avec Pris illa Bescond, Kenza Lagnaoul, Maxime Le Gall, Slimane Uefsah et les Amplificateurs de voix (chœur de 11 amateurs)

En bref : "j'appelle mes frères" nous interpelle tous sur la place de l’étranger dans nos sociétés occidentales. Sans jugement, sans à-priori, sans donner de leçon, pour dire que le vivre ensemble reste possible et que la voie de l'apaisement existe.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Avignon Off 2018
La Manufacture (La patinoire) - 3 rue des Ecoles 84000 Avignon
Du 6 au 26 juillet 2018 - 15h30 - durée 1h350 trajet compris

STAND UP / Rester debout et parler- Avignon Off 2018

DU STAND-UP, DU VRAI
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Elle s'appelle Alvie Bitemo. Née au Congo elle vit en France, à Melun. Forte de sa double culture elle jete un regard lucide sur notre façon de voir le monde. Elle ne nous ménage pas. Telle les artistes de stand-up new-yorkais Alvie alterne témoignage et échange avec le public. 

De son regard de femme noire elle nous amène à nous regarder. Avec humour et intelligence c'est notre occidentalisation de la lecture du monde qui nous est jeté en pâture. Pas de quoi être fier finalement. Qu'avons-nous fait de nos racines ?

Le stand-up est une discipline mal connue en France où elle évoque les one man show plus ou moins drôle. Ne dans les années 1960 dans les caves new-yorkaises il est une adresse au public de la part d'hommes et de femmes qui micro en main parlent en leur nom depuis leur marge. Pas un discours politique mais un échange dans la relation avec l'autre et en passant par le rire.

Alvie Bitemo excelle dans le style. Avec charme et sourire, sans en avoir l'air, elle est une oratrice accomplie et humoriste chevronnée.

En bref : du stand-up des années 1960 qui nous fait rire tout en nous interpellant sur notre vision du monde.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Avignon Festival Off
11 Gilgamesh Belleville - 11 boulevard Raspail 84000 Avignon
Du 6 au 27 juillet 2018 - 20h20 - Durée : 1h

TU SERAS UN HOMME PAPA - Avignon Off 2018

L'AMOUR PLUS FORT QUE LA MORT

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Quel mot de la langue française désigne le parent qui a perdu un enfant ? Aucun. Illustration d'un tabou. On ne parle pas de ce drame. Gaël Leiblang est journaliste sportif. Le combat, la gagne, le dépassement de soi il connaît. Et c'est à l'aide de métaphore sportives qu'il nous raconte son histoire.

13 JOURS

Père de deux petites filles la vie continue à la gâter lorsqu'un troisième enfant s'annonce. Ce sera un garçon. Il s'appellera Roman. Lors d'une échographie on constate que la longueur du fémur est dans la fourchette basse de la norme. Rien de dramatique. Mais Roman arrive avec 2 mois d'avance. Dans les premières heures est repérée une anomalie de l’œsophage. Roman n'a pas 24h qu'il doit déjà subir une opération. Qui se passe bien. En réa néo-natale ses parents sont aussi présent que possible, avec optimisme. Mais dans les premiers jours les choses se compliquent. Ce n'est pas une mais si malformations qui touchent Roman. Lourdement handicapante. Par amour les parents font le choix du non-acharnement thérapeutique. L'équipe médicale qui décide au final laissera faire la nature. Roman n'aura vécu que 13 jours, baigné dans un amour inconditionnel.

Le sport accompagne ce parcours de douleur. Lorsque Gaël Leiblang épelle le nom de son fils c'est comme un marathon, lorsqu'il liste les malformations c'est un combat de boxe où chaque uppercut vise un de problèmes pour tenter de le mettre chaos. A plat ventre sur le sol il escalade littéralement cette montagne qui se dresse devant son couple, devant sa famille.

LEÇON DE VIE

Un combat mais surtout une résilience et un parcours empli d'amour et de courage. Pas de pathos. Pas de larmoiement, juste le récit de la courte vie d'un enfant au sein d'une famille courageuse, solide, aimante. Une leçon d'amour qui atteint son acmé lorsque Gaël mime les gestes qu'il aurait fait avec son enfant grandissant.

C'était il y a quatre ans, lors d'une autre coupe du monde de football. Depuis une troisième fille est arrivée dans la famille. Et lorsque quelqu'un félicite Gaël pour ses trois filles il répond "trois filles et un fils".

En bref : Dans un seul en scène bouleversant Gaël Leiblang utilise les métaphores sportives pour raconter la perte d'un enfant, Roman. Un parcours empreint d'amour et de courage. Une leçon de vie et d'optimisme.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Le Lucernaire
53 Rue Notre Dame des Champs 75006 Paris
Du 24 Octobre au 8 décembre 2018
Du mardi au samedi à 21h
Rencontre avec l'équipe artistique le 2 novembre à l'issu de la représentation
Durée : 1h00


Vu Avignon Off 2018 - La Luna - 15 Juillet 2018 (au moment où la France est devenue Championne du monde de football pour la deuxième fois)
Mise à jour du 14/08/18
Crédit photo @véronique Vel

VERTIGES - Avignon Off 2018

FABLE ONIRIQUE ET TRANSMISSION
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Nadir revient dans sa famille, dans sa banlieue. Après de brillantes études il est parti, s'est marié à une française, a deux petites filles et une carrière professionnelle enviable. Il y a longtemps qu'il n'avait pas remis les pieds ici. Il est accueilli comme un roi par ses parents et ses frères et sœurs. C'est le retour du fils prodige, celui que tous admire. Mais Nadir est en train de divorcer. Il revient avec ses fantômes, trop fier pour avouer que sa vie de rêve est finalement un échec. Avec l'énergie du désespoir il tente d'imposer son ordre et sa logique à sa famille. La vie l'a éloigné de leur quotidien. Il n'a pas vu la cité se dégrader, les jeunes désœuvrés traîner au pied des immeubles, la radicalisation gagner du terrain. Il n'a pas vu les difficultés du quotidien, les démarches avec l'administration, l'accompagnement dans le parcours médical du père malade, la solidarité qui unit ces gens qui lui sont presque devenus étrangers.

"Vertiges" dresse le portrait de deux générations, entre passé et avenir. Les rêves et les cauchemars de Nadir sont ceux d'une génération toujours en quête d'identité, confrontée à ses origines, à ses racines, à ses valeurs.

Nasser Djemai nous a déjà fait vivre les questionnements de ceux qui sont venus du Maghreb et même d'Algérie pour construire une vie et une famille dans un monde meilleur. On retrouve son écriture toute en sensibilité que l'on avait apprécié notamment quant il nous parlait des chibannis dans "Invisibles". Ici aussi il place l'action avec beaucoup de réalisme dans le quotidien de cette famille somme toute banale. Progressivement on dérive vers la fable, basculant dans un onirisme qui trouve son apothéose dans une scène finale s'inscrivant dans un rituel d'une grande beauté et d'une forte intensité dramatique.


"Cette tribu restant unie dans les tourments, se renforçant au fil des oppositions et qui finit toujours par rester soudée, c'est l'image de la patrie qui se tient à ses racines, qui les examine pour mieux saisir son identité" nous dit Nasser Djemai.

Zakariya Gouram est remarquable dans le rôle de Nadir. Il donne corps à cet homme solide qui vacille, tangue, chavire, se redresse.  Dans le rôle du père malade et mourant Lounès Tazaïrt a toute la dignité de la vieillesse tandis que Fatima Aibout est une mère attentive, fière, le roc sur lequel tous s'appuient. Issam Rachyd-Ahrad, le frère, illustre cette jeunesse en errance, au chômage, prise entre tradition familiale et tentation de l'intégrisme. Clémence Azincourt est la sœur, celle qui s'inscrit dans les pas de sa mère tout en étant une jeune fille de son temps qui travaille dur pour assumer son rôle dans la famille et son autonomie. Martine Hammel clos la distribution en fantôme errant dans ce chaos, voisine muette qui survole la situation tel le choeur antique muet.

La mise en scène et la musique sont de toute beauté. Plus que le texte c'est l'environnement créé par la scénographie soigneusement travaillée que passe le message de ce passage d'un monde à un autre, d'une époque à une autre. Tout comme les meubles du cauchemar tout bascule. Et lorsque se déroule la cérémonie finale on se souvient du rituel de la voisine au début du spectacle.

En bref : avec toute la sensibilité qu'on lui connait Nasser Djemai aborde la question de la construction identitaire au travers d'une fable drôle et émouvante. Une distribution impeccable. Une réflexion entre réalité et onirisme. Coup de cœur

Vertiges, de Nasser Djemai, mise en scène de l'auteur, avec Fatima Aibout, Clémence Azincpurt, Zakariya Gouram, Martine Harmel, Issam Rachyq-Ahrad, Louis Razaïrt

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Avignon Festival Off 2018
Théâtre des Halles, Rue du Roi René 84000 Avignon
Du 6 au 29 juillet 2018 

CE QUI DEMEURE - Avignon OFF 2018

LES CHOIX DE LA MEMOIRE
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En fond de scène une cuisine. De celles qui font penser à votre grand-mère, avec sa simplicité, son formica, ses objets désuets. Deux femmes parlent. On comprend plus tard qu'elle rejouent une interview d'une femme de 93 ans. En toute simplicité. Accompagnées d'une musicienne les deux comédiennes restituent par le jeu théâtral des entretiens menés pour construction re ce spectacle.

Elise Chatauret est allée à la rencontre de ces personnages. Par ce théâtre documentaire elle bâti une vision de l'histoire. La grande comme la petite. Cette femme qui se raconte avec bon sens, pudeur et générosité renvoie le spectateur à sa propre histoire. J'ai beaucoup pensé à ma grand-mère, à tout ce qu'elle ne m'a pas dit avant de partir et à ces petites anecdotes qui font une vie.

Un dialogue qui intègre le spectateur tout en le respectant. Au travers de ce récit d'une vie ce qui ressort en filigrane ce sont les choix que fait la mémoire : ce que l'inconscient choisi de garder, d'arranger, d'embellir, d'occulter. On évoque la vie, la mort,, les bouleversements d'une époque, ceux d'un corps, de la famille, d'un appartement témoin des joies et des drames, du droit des femmes, du bonheur. Avec douceur et sans aucun pathos "Ce qui demeure" nous interpelle : que reste-t-il d'une vie ? Dans ce cas là beaucoup de positif.

En bref : du théâtre documentaire qui interroge la mémoire et ce qui reste d'une vie, entre petite et grande histoire. Aucun pathos mais beaucoup de bon sens et d'optimisme. Un moment émouvant

Ce qui demeure de Elise Chatauret, avec Solenne Keravis, Justine Bachelet ou Elsa Guedj (en alternance avec Julia Robert)

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Avignon Off 2018
La Manufacture 3 Rue des Ecoles 84000 Avignon
Du 6 au 26 juillet 2018 - 10h00 durée 1h50 (trajet inclus)

mercredi 18 juillet 2018

MAELSTRÖM - Avignon Off 2018

UNE COMÉDIENNE A SUIVRE
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La magie d'Avignon ça reste de se laisser surprendre par un spectacle que l'on n'avait pas repéré et que l'on décide d'aller voir en se fiant au bouche à oreille. C'est dans le nouveau lieu du Off  "Le Parvis d'Avignon", encore un ancien édifice religieux reconverti en espace culturel, que j'a découvert une jeune comédienne qu'il faudra suivre.


"Maelström" est un récit de Fabrice Melquiot. L'auteur qui a commencé en tant que comédien aux côtés d'Emmanuel Demarcy-Mota, à beaucoup écrit sur l'enfance ou l'adolescence. Cette fois-ci nous suivons Vera, 14 ans, sourde de naissance et appareillée à 3 ans d'implants cochléaires. Debout à un angle de rue elle attend. Elle qui n'entendait pas le monde elle semble désormais invisible. Attend-t-elle un amoureux potentiel ? Un bus ? Personne ? Elle crie mais nul ne la voit. Le monde ne sait rien d'elle. M'effraie. Elle crie sa tempête intérieure, son coeur qui bat pour cet autre qui l'ignore. Elle crie sa colère, ses attentes,ses espoirs. "Si elle était une ville elle en serait une au moment où un typhon la traverse" dit le dossier de presse.


Avec précision Fabrice Melquiot décortique les malaises de l'adolescence qui se cherche. Vera est une fonceuse, une boule d'énergie qui telle les 7 boules de cristal pourrait tout dévaster sur son passage. Elle lance son désespoir dans la nuit de la ville déserte. Elle se fait silence. Elle est le vent, la tempête et l'accalmie. Personne pour l'entendre, lui répondre. Mais en s'exprimant elle existe.



Portés par la fougue et l'énergie de Marion Lambert les mots de l'auteur résonnent avec puissance. Pour mieux nous mettre dans la peau de Vera la metteuse en scène Pascale Daniel-Lacombe à choisi d'équiper le public de casques. Est-ce ainsi que sonnent les sons lorsque l'on est appareillé d'implants cochléaires ? Tout semble amplifié, exacerbé. Lessons de la ville sont plus présents. Les émotions plus intenses. 



Sur la scénographie faite de rails et de verre, Marion Lambert irradie. Cette jeune comédienne, élève de la Comédie Française frappe par l'intensité de son jeu athlétique. Dans la pénombre elle capte notre regard des les premiers mots et ne nous lâche pas.



"Nous marchons de notre pas incertain vers ce que nous sommes de plus sûr"



En bref : un monologue très fort sur une adolescence en quête d'identité.  Marion Lambert dit avec force le beau texte de Fabrice Melquiot, dans un dispositif qui accentue les sensations. Une comédienne à suivre. Coupe de cœur Off 2018


Maelström, de Fabrice Melquiot, mise en scène Pascale Daniel-Lacombe, avec Marion Lambert



C'EST OÙ ? C'EST QUAND ?

Avignon Off 2018
Le Parvis d'Avignon - 33 Rue Paul Saïn 84000 Avignon
Du 6 au 24 juillet 2018 - 15h - Durée 1h10

SANG NEGRIER - Avignon Off 2018

SANG NÉGRIER
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Dans la toute petite (trop petite et trop mal agencée) salle du théâtre El Andalus se joue tous les jour un seul en scène narrant les déboires d'un lieutenant de bateau pendant le commerce des esclaves.(le spectacle change de salle dans le OFF 2019 et sera joué au Verbe Fou) Alors que le navire chargé de sa marchandise humaine vient de quitter Gorée, le capitaine décède. Le lieutenant prend le commandement. Mais au cours d'une escale à Saint Malo plusieurs esclaves s'échappent. Lors de la chasse à l'homme qui laisse éclater toute la cruauté don sont capables les hommes, tous sont rattrapés. Sauf un. Et soudain dans la ville sont déposés stratégiquement et un à un les doigts de l'esclave en fuite. Ne supportant pas cet échec le lieutenant sombre dans la folie.

Sur la toute petite scène quelques planches de bois judicieusement agencées se font navire ou barricade. Seul en scène Bruno Bernardin nous raconte avec talent la déchéance de ce négrier et fait sortir de notre imaginaire (ou de nos souvenirs pour qui y est passé) le fort de Gorée, les remparts de la cité malouine ses petites rues et ses recoins. Tel un Pierrot déchu Bruno Bernardin dresse le portrait pitoyable d'un esclavagiste qui passe d'un sentiment de toute puissance à l'état de bête traquée. Les rôles se sont inversés, le chasseur est devenu proie !

L'interprétation est saisissante et plurielle, donnant à voir toutes les étapes émotionnelles traversées par cet homme qui tantôt ne semble pas comprendre ce qui lui arrive, tantôt fait preuve d'une grande lucidité face au comportement de ses congénères. Ainsi lorsqu'il chausse un masque proche de la comedia dell'arte pour raconter la chasse à l'homme et la façon dont sont rattrapés 4 des 5 fugitifs.

En bref : belle adaptation du livre de Laurent Gaudé qui parle de la traite des noirs sous l'angle du négrier. Un texte porté magistralement par Bruno Bernardin

Sang négrier de Laurent Gaudé, mise en scène Khadija El Mahdi, avec Bruno Bernardin

Récompensé de 3 P'tit Molière 2018 : meilleur comédien dans un 1er rôle, meilleure mise en scène, meilleur seul en scène

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
95 Rue des Infirmières 84000 Avignon
Du 5 au 28 juillet 2019 - 15h15 - Durée 1h10
Relâche jeudi 11 et 25


Crédit photo @ Nicolas Cronier
Vu en juillet 2018 - Théâtre Al Andalus - Avignon - Off 2018
Mise à jour du 23/03/19

SUITE FRANCAISE - Avignon OFF 2018

SENSIBLE ADAPTATION
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Nous sommes en 1941 dans un village de Bourgogne. Madame Angellier (Béatrice Agenin) dont le fils unique est prisonnier de guerre, se voit contrainte d'accueillir chez elle un officier allemand. Le soldat s'avère séduisant et cultivé. Loin de la brute épaisse qu'on aurait facilité à détester. L'ambiance est sombre. Les objets précieux ont été cachés, rendant le décor encore plus austère. La maisonnée désertée par les hommes abrite également Lucile (Florence Pernel), l'épouse du fils prisonnier. La cohabitation forcée entre la mère et la belle-fille monte d'un cran dans la tension avec la présence du bel officier. Lucile résiste. Son devoir est de rester fidèle à celui qu'elle n'a jamais aimé et de ne pas succomber au charme de l'ennemi. D'autant plus que la résistance n'est pas loin, et que Lucile sera mise à contribution pour sauver le cousin de la bonne, auteur d'un acte de sabotage.

La mise en scène de Virginie Lemoine est toute en finesse et sobriété. L'ambiance lourde de l'occupation, couplée à l'atmosphère feutrée d'un maison bourgeoise où tous doivent cohabiter, les apparences qu'il faut sauver, être constamment sur ses gardes tant par éducation que du fait de la situation. Face à la rigidité morale de Madame Angellier il y a le bon sens populaire et terrien de la bonne (Emmanuelle Bougerol) et la figure un brin caricaturale de la femme du maire (Christiane Millet)  qui tente de mettre en oeuvre la solidarité au sein de cette communauté repliée sur elle-même par la peur. Quatre femmes dignes et pas moins combattantes que les deux hommes que sont le soldat allemand et le résistant. Six personnages pour montrer toute les contradiction de l'âme humaine, ses lâchetés, ses compromissions, ses actes de courage.

La distribution est parfaite. Béatrice Agenin est la digne, froide et malheureuse Madame Angellier. Florence Pernel a cette même dignité. Elle interprète tout en retenue et en pudeur cette femme de prisonnier luttant pour ne pas tomber amoureuse du séduisant ennemi. Christiane Millet et Emmanuelle Bougerol sont tout aussi impeccable et apportent humour et légèreté dans cette ambiance tendue. Samuel Glaumé est l'objet de la tentation, l'officier droit, respectueux et cultivé qui n'est pas dupe de ce qui se passe dans cette maison. Enfin Cedric Revollon est également très juste dans le rôle du résistant.

Irène Némirovski fut arrétée le 13 juillet 1942 dans le Morvan. Déportée à Auschwitz elle y meurt le 19 août 1942. Sa fille retrouva le manuscrit de "Suite française" dans une malle oubliée. Publié en 2004 le livre reçu le prix Renaudot et a fait l'objet d'une adaptation au cinéma.

En bref : Virginie Lemoine adapte avec délicatesse et finesse le roman d'Irène Némirovski. Une fresque de la France sous l'occupation. Une distribution parfaite et une interprétation impeccable pour une pièce intimiste. Une réussite.

Suite Française, d'Irène Némirovski, mise en scène de Virginie Lemoine, avec Béatrice Agenin, Florence Pernel, Christiane Millet, Emmanuelle Bougerol, Samuel Glaumé, Cédric Revollon.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Avignon Festival Off 2018
Théâtre le Balcon - 38 Rue Guillaume Puy 84000 Avignon
Du 6 au 28 juillet 2018 - 19h00 - Durée : 1h15

Crédit photo @ Karine Letellier

mardi 17 juillet 2018

L’AVALÉE DES AVALES - Avignon Off 2018

UNE LANGUE ÂPRE
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Cette année encore le théâtre québécois est présent en force à Avignon, pour notre plus grand bonheur. Au Petit Louvre Lorraine Pintal vient saluer un à un les spectateurs venus voir "L'avalée des avalés" que la directrice du Théâtre du Nouveau Monde de Montréal met en scène dans le OFF 2018.

Il s'agit de l'adaptation théâtrale du premier roman à succès de l'auteur québécois Réjean Ducharme. Avec une écriture âpre et riche il fait le tableau amer d'une adolescence instrumentalisée. L'héroïne est Bénédicte, une adolescente précoce. A 14 ans elle souffre des luttes entre ses parents et est diagnostiquée neurasthénique. Ceux-ci, de religion différente, ont décidé que Christian, le fils, serait élevé dans la religion chrétienne tandis que Bérénice la fille le serait dans le judaïsme. Après les années de bonheur les parents se déchirent, se détestent et instrumentalisent leurs enfants pour mieux se faire du mal l'un à l'autre. Christian rêve de devenir champion de javelot. Pour survivre à ce combat dont elle est une arme Bérénice a choisi les mots. Elle voue à son frère un amour inconditionnel. Face à la mère (Enigmatique Louise Marleau), Bérénice fait preuve d'une lucidité exceptionnelle pour son âge.

La langue de Réjean Ducharme est âpre. Dans la bouche de Bérénice les mots fusent, tranchent, découpe, attaquent, usant d'une vocabulaire riche et de métaphores. A travers elle c'est une attaque en règle de la société, des institutions, de la religion. A la violence des parents Bérénice renvoie la méchanceté et la violence de l'adolescence, exacerbés par la soif d'amour et de justice que ressent la jeune fille. Déchirée entre son amour filiale et la haine qui l'environne elle se sent avalée par tout ce qui l'entoure. "L'amour est faux, la haine est vraie".

Porté par un trio complémentaire au jeu juste, le texte brille par la performance de Sarah Laurendeau. La comédienne dotée d'une impressionnante présence scénique porte la pièce avec une interprétation plurielle qui explore les différentes strates de la psychologie de l'adolescente en quête d'identité. Elle incarne une Bérénice en colère, assoiffée de justice, quémandeuse d'amour. 

Dans la belle scénographie de Charles Binamé, ou même les oiseaux ont l'air inquiétants, dans une ambiance musicale recherchée, la mise en scène de Lorraine Pintal est fluide, précise. Elle permet de faire résonner le texte avec force.

En bref : une crise d'adolescence en forme de réquisitoire contre la société et la religion. Un texte âpre. Une magistrale interprétation de Sarah Laurendeau. Un spectacle à ne pas manquer

L'avalée des avalés, de Réjean Ducharme, mis en scène de Lorraine Pïntal, avec Benoît Landry, Sarah Laurendeau, Louise Marleau

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Avignon Off 2018
Théâtre du Petit Louvre - 23 Rue Saint Agricol 84000. Avignon
Du 6 au 29 juillet 2018 - 12h50- durée : 1h10

Puis aux Déchargeurs à Paris du 6 novembre au 8 décembre 2018

Crédit photo @Yves Renaut

MON OLYMPE - Avignon OFF 2018

CINQ FILLES DANS LE VENT
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Elles sont cinq. Elles ont entre 20 et 25 ans. Elles sont brunes, blondes, minces, rondes, petites, grandes. Elles ont en commun de faire des études de sociologie. Alors que depuis 9 mois elles se retrouvent un soir par semaine pour parler de la lutte pour les droits des femmes, un soir elles se retrouvent enfermées dans un jardin qui leur sert de salle de réunion. La crise éclate entre les deux fondatrices. Les cinq jeunes femmes vont alors s'interroger sur les raisons de continuer ou pas le projet alors qu'elles sont invitées à débattre dans une émission télévisée de grande écoute.

Loin des discours militants bornés et revanchards "Mon Olympe" nous propose une réflexion sur comment et pourquoi être féministe en France, en 2018, quand on a vingt ans. Ces cinq jeunes femmes ont des parcours différents. Au cours de cette nuit elles vont confronter leur engagement à leurs contradictions, leur volonté à leurs sentiments profonds. Chacune d'elle livrera ses motivations profondes, le fait qui l'aura poussée à se lancer dans l'action. Mais quelle forme celle-ci doit-elle prendre aujourd'hui ? Le féminisme est-il devenu"has been"?

Différentes et complémentaires elles posent avec fraîcheur, sincérité et sans tabou les questionnements qui agitent les jeunes femmes de la société française (et occidentale d'une manière générale).  Avec une belle énergie communicative (notamment une leçon de danse d'anthologie),  Jeanne l'énervée, Lucie la gouailleuse et la provocante, Louise l'organisatrice qui veut garder tout sous contrôle, Marie l'hésitante romantique et Simone l'intellectuelle et héritière d'une lignée de féministes partagent une réflexion à vois haute sur la place des femmes dans la société.

Créé avant "MeeToo" ou "#Balancetonporc" les cinq jeunes filles dans le vent dressent le bilan d'une situation. Et comme elle le disent : "l'important n'est pas tant de se réveiller que de ne pas s'endormir". Alors sortons de notre bac à sable pour ne pas avoir à faire le constat que "nos mères se sont battues pour nous rendre libres, et nous on s'enterre".

En bref : Cinq jeunes filles débordantes d'énergie positive s'interrogent avec intelligence, humour et sincérité sur le féminisme. Une standing ovation largement mérité chaque soir. Coup de coeur dans ce OFF2018

Mon Olympe, mise en scène de Gabrielle Chalmont, avec Claire Bouanich, Sarah Coulaud, Louise Fafa, Maud Martel, Jeanne Ruff



C'EST OU ? C'EST QUAND ?

Théâtre de Belleville
94 Rue du Faubourg du Temple75011 Paris
du 6 au 29 février 2019 - 21h15

Crédit photo @Céline Zug
Vu Avignon Off 2018 - Théâtre des Corps Saints

LES PASSAGERS DE L'AUBE - Avignon OFF 2018

QUAND SCIENCE ET SPIRITUALITÉ SE RENCONTRENT
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Noé est un brillant étudiant en neurologie. Il s'apprête à repartir à Harvard pour finir sa thèse, malgré son amour pour Alix, photographe dans le monde de la musique. Ils sont jeunes et beaux, ils ont des passions différentes mais ils sont fous amoureux. Elle attend avec impatience ce voyage qu'il lui a promis de faire. Il repousse le projet une fois de plus car Harvard lui offre une opportunité qui ne se refuse pas. Mais le professeur qui devait l'accueillir a un accident qui va l'amener à abandonner sa carrière. Cette remise en cause va bouleverser toutes les croyances de Noé. Découvrant les expérience de mort imminente (EMI ou NDE - Near Death Experience en anglais), il voit tout ce qui le motivait remis en cause, entraînant dans ce tourbillon de doute la femme qu'il aime, son meilleur ami, son maître de recherche.

C'est indéniable Violaine Arsac a un vrai talent de conteuse. Cette histoire romantique (peut-être un peu trop) s'appuie sur des faits scientifiques avérés. L'écriture est documentée et c'est ce qui fait que l'on s'interroge comme Noé sur notre rapport à la mort. Ainsi est-on interpellé quand son meilleur ami lui demande "Quel est le contraire de la mort ?". Vous, quelle est votre réponse ? Et quelle sera celle d'un bouddhiste ou d'une autre culture ? Science et spiritualité sont-ils compatibles ? Au-delà de l'histoire d'amour entre les deux personnages principaux c'est la façon dont notre médecine aborde le coma et la mort qui fait le cœur de ce spectacle. Noé est confronté par des faits scientifiquement prouvé à une réalité que sa spécialité nie, ne peut expliquer. On est entraîné dans ses réflexions, ses doutes, ses remises en cause. Pourtant lorsque l'histoire bascule avec le destin d'Alix on aborde une nouvelle problématique sans avoir vraiment fermé la précédente, et c'est certainement ce qui m'a empêchée d'être totalement bouleversée.

Il n'en demeure pas moins que Les Passagers de l'aube est un spectacle tout en finesse et précision. La mise en scène de Violaine Arsac est moderne, fluide, rythmée. Comme dans un série il n'y a pas de temps mort et les différents rythmes se succèdent avec réussite. Le décor simple permet de basculer sans à-coup d'un lieu à un autre. Les scènes se succèdent, rapides mais sans précipitation. L'habillage lumière de Stéphane Baquet est subtil. La distribution est parfaite. Florence Coste est une Alix pétillante, vive, légère, un tourbillon de vie et d'optimisme. Mathilde Moulinat et Nicolas Taffin sont tous deux parfaits. Quand à Grégory Corre, outre sa présence scénique et son aura,il interprète les doutes de Noé avec une grande justesse.


En bref : une comédie romantique servie par un excellent quatuor de comédiens, qui sert de prétexte à un questionnement sur un fait scientifique avéré. Que l'on soit convaincu ou sceptique Les passagers de l'aube interpellent.

Les passagers de l'aube, écriture et mise en scène de Violaine Arsac, avec Grégory Corre, Florence Coste, Mathilde Moulinat, Nicolas Taffin

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Théâtre 13 - Jardin
103A Boulevard Auguste Blanqui 75014 Paris 
Du 9 janvier au 9 février 2020

Vu Avignon - La Luna - Juillet 2018
Mise à jour du 06/01/2020

dimanche 15 juillet 2018

CES MOTS POUR SEPULTURE

ÉMOUVANT TÉMOIGNAGE D'UN SURVIVANT
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Benjamin Orenstein est un survivant. Il a 14 ans et demi lorsqu'à la demande de ses frères il prend la place de leur père pour aller travailler dans un camp nazi. De l'automne 1939 à avril 1945 il va passer par 7 camps de travail et de concentration. Un miracle que le jeune juif polonais ait survécu.

C'est Charlotte Jarix qui met en scène les mots de la biographie de Benjamin Orenstein écrite par JC Nerson. Avec sobriété il relate cette longue traversée de l'horreur. Cela commence avec les brimades, les sévices subies par les familles juives, le port du brassard et de l'étoile, et va croissant dans la démonstration de ce que l'homme peut commettre de plus horrible, du camp de travail presque bienveillant (en comparaison des autres) à Auschwitz, le camp de la mort. Sa jeunesse et la chance, voilà peut-être les clés qui expliquent que Benjamin Orenstein ait pu sortir vivant, ne pesant plus que 32 kg pour 1m60, du plus terrible des camps nazis.

C'est un vrai travail de troupe qui nous est proposé à La Factory. L'ambiance et l'univers de cette époque troublée sont restitués avec justesse. Les décors sont travaillés. Un mirador, un rail de chemin de fer, un grillage, un lopin de terre, une table familiale : nous sommes au coeur du calvaire de cette famille dont Benjamin sera le seul survivant. Le zèle des capots, le sadisme des soldats, la peur et la faim éprouvées par les prisonniers. L'émotion est présente à chaque instant, malgré les noirs répétitifs des changements de décors qui cassent un peu le rythme.

Ce soir-là M. Benjamin Orenstein était présent dans la salle.

En bref : une reconstitution historique est pédagogique de l'enfer vécu par Benjamin Orenstein, survivant de 7 camps nazis. Avec sobriété et réalisme une mise en scène et une interprétation émouvantes. Parce qu'il ne faut jamais oublier.

Ces mots pour sépulture, d'après la biographie de Benjamin Orenstein mise en mots par JC Nerson, adaptation et mise en scène Charlotte Jarrix, décor Christophe Jacqueton, costumes et accessoires, Amélie Rochard et la Compagnie Intrusion, avec Tom Sage en alternance avec Côme Burhgraeve, Titouan Bodin, Nicolas Delahaye, Benjamin Airault  Tristan Montandreau, Rosalie Airault, Marie-Auriane Ormazabal, Amélie Rochard et Charlotte Jarrix.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Avignon Off 2018
Théâtre de l'Oulle Factory - Salle Tomasi
4 Rue Bertrand 84000 Avignon
Du 6 au 29 juillet 2018 - 15h40 - Durée 1h35
Relâche 9, 16 et 23 juillet


samedi 14 juillet 2018

NOUS VOIR NOUS - Avignon OFF 2018

GÉNÉRATION SUICIDÉE
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Les québécois de la compagnie Tech présente une mise en scène du texte e de Guillaume Corbeil "Cinq visages de Camille Brunel". Un texte que j'avais découvert dans le Off il y a quelques années. Portrait au vitriol d'une génération hyper connectée, qui vit tout à fond et se met en scène sur les réseaux sociaux.

Ils sont cinq : trois filles et deux garçons. Ils ont la trentaine. Leur vie telle qu'ils l'exposent à grand coup de photos sur Facebook et autres réseaux sociaux est faite de fêtes, de sons, d'images, de mouvement. Comme dans une battle ils se définissent par ce qu'ils aiment musicalement, par leur culture cinématographique,par les spectacles phares qu'ils ont vus. Une vie ou tout est beau, lisse, où tous sont heureux.

Mais si on gratte la surface les couches inférieures de la vie réelle sont biens différentes. Le sexe n'y est pas toujours fun, l'alcool qui grise est addictif, l'euphorie de la fête vient des petites pilules de drogue. Derrière le collectif soudé et festif se cachent des individualités au parcours douloureux. Ces images de joies peuvent révéler une autre réalité, camoufler le drame naissant, celui que personne n'a vu venir. Une génération entre être et paraître. Une jeunesse ivre de fête et riche de ses combats partout dans le monde.

Les cinq comédiens et comédiennes ne se ménagent pas. La mise en scène est énergique, fait appel à la vidéo, à la projection en grand de photos, au son. Les références ont été actualisées et partiellement francisées sans que le texte ne perde de sa férocité. Néanmoins, malgré toutes les qualités de la Compagnie Tech et peut-être parce que le texte n’était pas une découverte, il m'a manqué un peu de la puissance de la première version vue. Et je me dis que si la fiche spectacle avait clairement fait mention du titre "cinq visages de Camille Brunel" je ne l'aurai pas inscrit dans mon programme.

En bref : la compagnie Tech met en scène avec énergie "Cinq visages de Camille Brunel", portrait au vitriol d'une génération du paraître. 


NOUS VOIR NOUSde Guillaume Corbeil, mis en scène de Antoine Lemaire, avec Chloé André, Cédric Duhem, Marie Mounier en alternance avec Marie Bourin, Charlotte Talpaert, Rodrigue Woittez

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Avignon Off 2018
11 Gilgamesh Belleville
11 Bd Raspail - 84000 Avignon
Du 6 au 27 Juillet 2018 - 18h

JE T'AIME PAPA MAIS MERCI D'ETRE MORT

RÉSILIENCE ET POÉSIE
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Le Théâtre des Tarabates est une compagnie créée par Philippe Saumont. Marionnettiste de formation il aborde avec poésie et créativité des thèmes sérieux dans des spectacles plus particulièrement destinés au jeune public.

Avec "Je t'aime papa mais merci d'être mort" il utilise les mots de l'enfance pour parler de cette violence familiale. Cadet d'une fratrie de trois l'enfant n'a pas de place à lui dans cette maison étroite. Le père ouvrier est souvent absent. Et quand il rentre fatigué du travail et saoul des soirées avec les copains, c'est la mère au foyer et les enfants qui trinquent. La violence quotidienne. Alors l'enfant se tourne vers le ciel, ses nuages et ses étoiles. Dans cet univers empreint de poésie et de musique (live) il trouve la force de fuir ses cauchemars et ceux du père, ancien de la guerre d'Algérie.

C'est une histoire de résilience, le récit d'un enfant qui a grandi dans un univers familial défavorable, mais pas le récit d'une victime. Avec des mots simples il trace son chemin vers l'adulte qu'il deviendra, prouvant que rien n'est écrit et qu'il est possible de s'en sortir.

Poète et conteur Philippe Saumont crée un spectacle qui met l'accent sur l'esthétique. Ses nuages sont faits de barbe à papa, ses planètes sont des bonbons géants. L'image du père est un géant froid et menaçant. Un masque de pâte (à pizza?) illustre l'enfant qui étouffe dans cet atmosphère de violence. Et c'est la poésie et le rêve qui l'emportent. Il manque juste un peu de rythme pour que l'émotion soit totale.

Je t'aime papa mais merci d'être mort, de Philippe Saumont, mis en scène par l'auteur, avec Christophe Ecobichon, musique Yann Honoré, manipulation & jeu Geoffrey Saumont

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Avignon Festival Off 2018
11 Gilgamesh Belleville - 11 Bd Raspail 84000 Avignon
Du 6 au 27 juillmet - 10h - Durée 1h10
Tous publics à partir de 12 ans 


vendredi 13 juillet 2018

L'ANNEE DE RICHARD - Avignon OFF 2018

LE MONSTRE ET LE POUVOIR
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Richard. Homme blessé. Difforme. Rejeté de tous. Misanthrope qui hait la famille. "Je jure de vous faire perdre la foi en la démocratie". Voilà comment se présente celui qui dans quelques minutes dira "S'ils ne peuvent m'aimer alors qu'ils aient peur de moi" tout en nous enjoignant à profiter de l'été pour ne pas penser à ce qui arrivera après.

"Je demande un parti". Voilà un cri bien étrange lancé par cet homme qui n'est que cynisme, qui jette le chaud et le froid. Tantôt il veut nous amadouer, tantôt il se fait menaçant. Le pouvoir est son dû. Il l'a bien mérité après tout l'argent qu'il a investit ou permis d'investir.  Et qu'importe qu'il n'agisse pas au nom d'une idéologie "Ce que le peuple a besoin avant tout c'est d'un Napoléon".

Qui est donc cet homme qui fait preuve d'un cynisme et d'une froideur glaçants ? Angelica Liddelle a écrit ce texte en 2009. Elle s'empare de la figure du cruel Richard III et dresse un constat visionnaire des dérives de la démocratie dans les sociétés occidentales. Richard est un être qui n'a aucun scrupule. A travers son discours, ses tentatives de séduction, ses menaces, son langage brut, il nous jette au visage nos incohérences, notre paresse, notre torpeur. Ce n'est pas l'action qui l’intéresse mais la puissance du verbe, comment la communication jongle avec les désirs, les pulsions, les peurs d'un peuple qui se laisse endormir. "On ne traite pas d'assassin un président démocratiquement élu" qui va ensuite poser avec son cheval ou son chien. 



Dans ce réquisitoire sans fard sur nos démocraties endormies Angelical Liddell nous incite à nous regarder. Avons-nous envie de laisser n'importe quel beau parleur un tant soit peu intelligent jouer avec nos cordes sensibles et nous manipuler pour prendre le pouvoir en toute légalité. Et quand on regarde l'Europe de 2018 comment ne pas trouver se dire que la dramaturge avait déjà tout compris.

Il y a trois ans Anne-Frédérique Bourget et la compagnie Maskantête présentait déjà un texte fort de la même autrice, "Et les poissons partirent combattre les hommes", qui nous parlait du drame des migrants en Méditerranée.  Cette nouvelle mise en scène appuie avec la même force un texte très tout aussi ravageur. Elle joue sur les contrastes : dans les changements de ton, dans les chansons qui répondent au texte, dans couleur des costumes (bleu roi, argent), dans les rythmes, dans le choix de ses comédiens.

Sur scène deux comédiens et un musicien. Azeddine Benarnara a la puissance du monstrueux Richard. Tantôt séducteur, tantôt dictateur, il dit avec force ce texte engagé. La force des mots prend tout son sens dans son interprétation. Richard ne cherche pas à convaincre par l'action mais gagne par sa capacité à manipuler par les mot Face à lui Lauriane Durix compose une figure tout aussi complexe. Elle rassure parfois, à l'air de s'inquiéter comme nous des propos tenus par Richard, le cajole, nous séduit de ses yeux clairs. Comédienne et danseuse elle est le complément charme et séduction de Richard. Tous les deux ont une large palette d'expression. Accompagnés par la musique live de Alexis Sibeleau ils forment un redoutable tandem qui tisse sa toile pour nous faire tomber dedans. Et quand dans la dernière partie des spectres sortis du public viennent tourner autour du corps de Richard sommes nous rassurés de voir la bête tomber ?

En bref : La compagnie Maskantête réussi à nouveau à porter avec force, énergie et conviction un texte puissant. Porté par un duo de comédiens complémentaires, au jeu très expressif, elle nous incite à la réflexion. Réveillons-nous nous dit-elle avec ce texte visionnaire d'Angelica Liddell !

L'année de Richard, de Angelica Liddell, par la compagnie Maskantete, mise en scène Anne-Frédérique Bourget,  avec Azeddine Benarnara, Lauriane Durix et Alexis Sébileau

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Festival Avignon Off 2018
Artephile - 7 Rue Bourg Neuf - Avignon
du 6 au 27 juillet - 15h45 - relâche le dimanche