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jeudi 15 juin 2017

ADIEU M. HAFFMANN

AMOUR ET FILIATION EN TEMPS D'OCCUPATION
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UN BIJOUTIER JUIF ET L'OCCUPATION

Paris, Mai 1942. Joseph HAFFMANN est bijoutier. Comme tous les juifs de France il doit porter l'étoile jaune. Pour sauver sa bijouterie au bord de la faillite il demande à son employé Pierre Vigneau d'en prendre la direction, et de le cacher jusqu'à des jours meilleurs. L'employé finit par accepter le risque, à la condition que M. Haffmann ait des relations sexuelles avec Mme Vigneau, car le couple n'arrive pas à avoir d'enfant. Comment chacun des trois protagonistes va-t-il vivre en huis clos dans ce contexte et ce singulier marché ?

DÉLICATESSE, JUSTESSE ET SENSIBILITÉ

Jean-Philippe DAGUERRE, plus connu pour ses mises en scène, propose avec ADIEU MONSIEUR HAFFMANN une belle histoire d'amour et d'amitié. Tout en délicatesse, il aborde des questions dramatiques avec subtilité et sensibilité.

L'ombre de la mort plane sur l'époque mais elle ne peut éteindre le besoin d'amour et de vie. Joseph HAFFMANN (Alexandre BONSTEIN) et Pierre Vigneau (Grégori BAQUET) s'estiment et sont liés par l'amitié au-delà des rapports hiérarchiques de la petite bijouterie. Dès lors comment refuser à l'autre ce qui lui tient tant à cœur.

Dans l'intimité de la maisonnée, dans le double secret de ce marché, les sentiments évoluent. La gêne d'Isabelle Vigneau (Julie CAVANNA) et de Joseph, la jalousie de Pierre. Les angoisses des uns et des autres se cumulent, se conjuguent : l'angoisse d'être découvert par l'occupant allemand, celle que la grossesse tant désirée ne vienne pas. Le malaise s'installe au sein du trio. D'autant plus que le plus gros client n'est autre qu'Otto Abetz, l'ambassadeur d'Allemagne et proche d'Hitler. Ce dernier à notamment pour mission de dénicher les trésors picturaux de la France et soupçonne Haffmann d'en posséder un.

La finesse de l'écriture et du jeu des comédiens permet d'éviter tous les pièges de la situation créée, contournant tout manichéisme et toutes les ambiguïtés possibles. Chacun des protagonistes se trouve confronté à la question du pacte avec le diable, à la tentation de la trahison, à la lutte pour garder son intégrité.

La mise en scène est sobre, laissant le temps filer doucement mais pas tranquillement. Si l'atmosphère et la situation se font lourdes pour le trio Haffmann / Vigneau, le spectateur est constamment tenu par l'émotion, le danger permanent qui pèse sur les personnages, sans jamais subir cette lenteur. Jusqu'au rebondissement final qui ne manque pas d'humour.

Une fois encore Grégori BAQUET fait montre de tout son talent de grand comédien discret et sensible. Alexandre BRONSTEIN excelle dans les sentiments ambigus qui traversent l'homme en besoin de filiation. Julie CAVANNA sait se faire épouse effacée et femme de tempérament placée dans une situation scabreuse. Franck DESMEDT et Charlotte MATZNEFF sont délicieusement détestables dans le rôle de l'ambassadeur et de son épouse plus nazis et avides l'un que l'autre.

Commentaire : Chronique faite sur la distribution du Off 2016. Pour le Off 2017 Grégori BAQUET est remplacé par Charles LELAURE

En bref : Une histoire d'amour et d'amitié, un besoin de filiation et de transmission dans une époque troublée. Une lutte pour l'intégrité, contre la tentation du mal. ADIEU MONSIEUR HAFFMANN est un récit humain porté par un magnifique trio d'acteur

ADIEU MONSIEUR HAFFMANN, de Jean-Philippe Daguerre, mis en scène par Jean Philippe Daguerre, avec Charles Lelaure, Julie Cavanna, Alexandre Bonstein, Franck Desmedt ou Jean-Philippe Daguerre en alternance, Charlotte Matzneff ou Salomé Villiers en alternance 

(Vu avec distribution Avigon Off 2017) Charles Lelaure, Julie Cavanna, Alexandre Bonstein, Franck Desmedt ou Jean-Philippe Daguerre, Charlotte Matzneff


C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Théâtre du Petit Monparnasse
31 Rue de la Gaîté 75014 Paris
A partir du 12 janvier 2018 
du mardi au samedi 21h - dimanche 15h - Durée : 1h20


Vu Avignon Off 2016 - Théâtre Actuel

dimanche 11 septembre 2016

WE LOVE ARABS

PILONNAGE EN RÈGLE DU MUR DES PRÉJUGÉS
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LE BUZZ DU OFF 2016

Le Off 2016 s'est enflammé avec justesse pour WE LOVE ARABS, une pièce qui tire à boulets rouges sur les préjugés concernant la relation israélien / arabes. Le titre en lui-même est déjà un pied-de-nez à la bien-pensance. Dans cette satire fine et mordante le chorégraphe Hillel KOGAN imagine le processus de création d'un spectacle kitch, prétentieux, pseudo-engagé, qui durera 3 jours, se déroulera dans le désert, et qui aurait pour thème l'identité et le partage de l'espace entre Juifs et Arabes. Vaste programme ! Oui mais pour cela il a besoin d'un danseur arabe. Sauf qu'il n'en a aucun dans son répertoire ! Se présente un danseur Arabe, le seul d'Israël, mais qui ne correspondant pas tout à fait à ce que recherche le chorégraphe.


SE JOUER DES PRÉJUGÉS

Avec WE LOVE ARABS Hillel KOGAN dresse un réquisitoire lapidaire contre les réflexes racistes les plus sournois. Tout dans le spectacle est d'une profonde intelligence. Chaque mot, chaque mouvement est réfléchi, drôle, (im)pertinent. Il ne s'agit pas tant "d'une rencontre ou d'un conflit entre juif et arabe" mais de "la confrontation entre deux images" traitant avec subtilité les préjugés les plus larvés que l'on exprime sans même en avoir conscience. Dans cette perspective le duo avec Adi BOUTROUS est d'autant plus savoureux tant le danseur ne correspondant pas du tout à l'image typique de l'arabe. contrariant ainsi le projet de chorégraphe, le contraste entre les deux n'étant soudain plus aussi marqué qu'il le souhaiterait, ce qui donne lieu a de savoureux échanges, notamment dans les expressions.

Hillel KOGAN réalise également une satire savoureuse des milieux de la danse. Le chorégraphe qu'il interprète est une caricature assumée emplie d'auto-dérision. Que ce soit dans le vocabulaire ou dans la gestuelle il jongle avec les ressorts du comique, entre premier, deuxième, trentième degré. On se délecte de ce faux Hillel KOGAN qui impose à son danseur une relation dominant / dominé, infantilisant le danseur sans jamais lui laisser la parole. On savoure ce chorégraphe qui dans l'expression de son art utilise les danseurs comme une matière malléable qu'il peut triturer comme il l'entend pour en restituer sa pensée, sa vision créatrice, dans un processus de création qui peut être violent sans qu'il en ait parfois conscience. Une collaboration qui se termine en apothéose dans un magnifique duo, avant de partager l'houmous avec le public.

En bref : un petit bijou d'autodérision qui traite avec humour et subtilité des comportements ordinaires. Hillel KOGAN et Adi BOUTROUS nous offrent un spectacle d'une rare intelligence qui foule aux pieds la bien-pensance sur la coexistence israelo-arabe, tout en n'épargnant pas les milieux artistiques. Une pépite à ne manquer sous aucun prétexte.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Théâtre du Rond Point
Avenue Franklin Roosevelt - Paris
du 12 septembre au 8 octobre 2017
Durée : 45 mn

LIEN VERS LE TRAILER EN FRANCAIS EN CLIQUANT ICI

Vu Avignon 2016 - La Manufacture
Mise à jour du 12/09/17

mardi 30 août 2016

VOYAGE DANS LES MÉMOIRES D'UN FOU

VIRTUOSE VOYAGE
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LIRE FLAUBERT AUTREMENT

Un jeune homme apprend qu'il est atteint d'un mal incurable. Avant d'affronter la mort il décide d'écrire à un lecteur imaginaire pour lui confier ses mémoires. Dans l'étroitesse de sa chambre il commence son récit d'une manière académique. Mais sa plume s'emballe. Dans un grand élan de poésie une galerie de personnages va prendre naissance, tous aussi émouvants, drôles, truculents. Le lecteur imaginaire saura-t-il faire la part du rêve et de la réalité ?

Lionel CECILIO a eu l'idée de son spectacle lors d'une lecture des Mémoires d'un fou de Gustave Flaubert. Il eut alors l'intuition de l'aborder sous un prisme différent, celui de "rendre un instantané drôle et tendre de notre monde, de ses nombreuses absurdités sans tomber dans l'écueil du donneur de leçon.". Et pour mieux parler de la vie il a choisi de parler de la mort.

REMARQUABLE PERFORMANCE D'ACTEUR

Une porte en fond de scène par laquelle rentre un jeune homme. Sa dernière heure est venue. Il s'installe à un bureau et commence à écrire ses mémoires pour un lecteur imaginaire. Mais en replongeant dans ses souvenirs il les fait renaître sous nos yeux. Avec poésie, jonglant avec les mots et avec les émotions, s'appuyant sur un texte d'une grande finesse, Lionel CECILIO délivre une performance étonnante et très physique.


Pendant 1h20 on se laisse porter par cette invitation au voyage. On rit, on est ému. On s'accroche parfois pour suivre le texte pas toujours facile. Le décor minimaliste est parfaitement occupé par le comédien qui évolue sous le très beau travail de lumière de Johana DILOLO. Et au sortir du spectacle on réalise que l'on a vécu un moment théâtral rare.

Présenté au Théâtre Les Déchargeurs à Paris on espère bien revoir rapidement Lionel CECILIO sur les scènes parisiennes après son passage remarqué dans le Off 2016.

En bref : Il faut courir voir ce seul scène remarquable. Lionel Cecilio a un jeu d'acteur éblouissant. Laissez-vous porter par la poésie et la finesse d'un texte qui pousse à la réflexion et par l'éblouissant jeu d'acteur de Lionel Cecilio. Un moment rare à ne pas manquer.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Avignon Festival Off 2017
Théâtre des Corps Saints
Place des Corps Saints - Avignon
Du 7 au 30 juillet 2017 - 18h35 - Durée : 115


Vu Avignon Off 2016 - Théâtre Pixel
Mise à jour du 27/06/17

vendredi 29 juillet 2016

PARLONS D'AUTRE CHOSE

UNE JEUNESSE ASPHYXIÉE
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UNE COMMUNAUTÉ SOUDÉE

Ils sont 9 : huit filles et un garçon. Ils ont entre 17 et 20 ans. Ils sont en terminale L. Une communauté soudée, munie de ses règles, de ses codes. Ils ne se quittent jamais vraiment : s'ils ne sont pas au lycée ou en soirée ils restent connectés grâce à leurs ordinateurs, leurs smartphones, leurs forfaits illimités.

Ils n'ont connu que "la crise". Enfants de la génération de mai 68 ils vivent cernés par les interdits fixés par leurs parents. N'est-ce pas un comble de la part de ceux qui couvraient les murs de "il est interdit d'interdire" ? C'est une génération en colère. C'est à cause d'Amy Winehouse. C'est à cause de l'espoir. L'espoir ? Quel espoir ? Une génération qui veut mener sa révolution assise derrière son ordinateur, dans une solitude illimitée, qui ne rêve pas mais se demande seulement "comment s'en sortir". Triste constat.

Alors pour oublier cette peur permanente, pour oublier que l'amour ce n'est bien que chez les vieux, que l'image de la femme c'est celle de cette chanteuse internationale qui n'a plus besoin du rappeur pour réussir dans l'industrie du X, pardon dans l'industrie du disque, il y a les soirées. Ces espaces de liberté. Mais "sait-on ce que c'est que d'être libre ?".

Telles des amazones les filles se veulent combattantes, guerrières, fortes, indépendantes. Tel Achille, Tom est le seul admis dans le cercle. Jusqu'à ce 2 mai 2016 où les choses ont dérapé.

ECRITURE COLLECTIVE

PARLONS D'AUTRE CHOSE est une création collective née de la rencontre de jeunes comédiens âgés de 19 à 25 ans avec deux artistes expérimentées : Léonore CONFINO et Catherine SCHAUB. La première a aidé à l'écriture, la seconde a mis en scène les émotions, interrogations, espoirs de ces jeunes réunis au sein du collectif BIRDLAND.

Un projet qui ne se veut pas que culturel. L'objectif du collectif, en plus d'avoir pu présenter son travail à Paris au Théâtre de Belleville et à la Pépinières Théâtre, et de le porter auprès des acteurs de la vie éducative, professeurs et lycéens, pour en faire un objet socio-éducatif source de tables rondes et d'ateliers.

UNE OEUVRE ORIGINALE

Grâce à une écriture directe, jeune, impertinente, pleine d'humour le collectif BIRDLAND nous interpelle, au sens propre comme au figuré, nous étonne, nous dérange parfois, nous déroute, nous émeut, nous touche au cœur.

Les 9 jeunes comédiens sont bourrés de talent, plein d'énergie. Ils secouent le public et tout parent devraient non seulement écouter mais aussi entendre ce que cette jeunesse souvent incomprise a à nous dire.

En bref : Avec PARLONS D'AUTRE CHOSE le collectif BIRDLAND dresse le portrait d'une génération asphyxiée. Une oeuvre originale qui questionne et émeut. Un spectacle actuel. Une parole libérée qu'il faut entendre

C'EST OU ? C'EST QUAND ?

Théâtre Tristan Bernard
645 Rue du Rocher 75008 Paris
A partir du 10 octobre 2018 - 19h
 Durée : 1h10


Vu Théâtre du Nouveau Ring - Avignon - Juillet 2016
Mise à jour du 14/10/2018

PIGMENTS

SI ON POUVAIT TOUT RECOMMENCER ...
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UNE SI BELLE HISTOIRE...

Chloé est peintre et a du mal à percer, mais si elle doute parfois, Nicolas , neurologue, est là pour l'encourage. 4 ans d'un amour intense dont témoignent 8732 textos échangés, du plus romantique au plus terre à terre, et les photos qui sont accrochés sur cette toile de fils tendue dans leur appartement. Mais la passion s'émousse. Avec elle arrive la trahison. Leur belle histoire arrive à sa fin. C'est alors que survient un événement tragique qui pourrait être une nouvelle chance pour repartir à zéro.

Versant jusqu'alors dans le domaine de la comédie Nicolas TAFFIN se lance avec sa quatrième pièce dans la comédie dramatique. Et c'est une réussite sur tous les plans. L'écriture est riche, les dialogues aiguisés, l'histoire cohérente et l'intrique se déroule avec fluidité tout en réservant quelques rebondissements intéressants dont il faut laisser la surprise. Dilemmes, mensonges, secrets : autant de touches de vies qui viennent tacher la toile de leur relation. La vie leur donne l'occasion d'essayer de redonner des couleurs à cette toile devenue blanche. Mais quelles traces indélébiles resteront gravées ?

Dès les premières secondes Mathilde MOULINAT (Chloé) et Nicolas TAFFIN (Nicolas) nous attrapent avec leurs relations parfois sauvages, souvent tendres. Chloé est énergique, espiègle, colérique, câline. Nicolas, plus posé, est taquin, provocateur, charmeur. Leur amour est addictif, complice, avec quelques désaccords solides. Pourraient-ils l'oublier à tout jamais? Le spectateur est immédiatement en empathie avec ces deux être si attachants, si vrais. Comme une petite souris que se serait glissée dans leur appartement on rit avec eux, on vibre au rythme de leur histoire, on souffre pour l'un comme pour l'autre sans porter aucun jugement, on espère.


PIGMENTS est un spectacle où tout a été travaillé dans un objectif d'excellence. La direction d'acteur  et mise en scène de Elodie WALLACE sont parfaites, alternant rythme et moments de poésie. Les deux comédiens sont criants de justesse et de vérité, énergiques, sensibles, transmettant les émotions variées de leurs personnages. L'habillage du spectacle est en parfaite cohérence : la composition musicale originale de Dian POITRENAUD, la mise en lumière subtile de Jean-Philippe De OLIVEIRA, jusqu'à la communication visuelle de Gatsby ETEVE-SAURE et de l'équipe de myfourmi.com.

En bref : PIGMENTS est une très belle comédie-dramatico-romantique écrite avec talent et interprétée avec justesse et sensibilité par un magnifique duo de comédiens. On espère le retrouver très vite à l'affiche d'un beau théâtre parisien et en tournée car tout est là pour que ce spectacle ait une longue vie. Un régal !

C'EST OU ? C'EST QUAND ?

Avignon Festival Off 2017
La Luna
1 Rue Séverine - Avignon - 17h20 - Durée : 1h12
du 6 au 30 juillet 2017

Vu Avignon Off 2016 - La Luna

mercredi 27 juillet 2016

LES FILLES AUX MAINS JAUNES

ODE AUX COURAGE DES FEMMES DANS LA TOURMENTE DE 14-18
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LA LIBERTÉ, A QUEL PRIX !

Elles s'appellent Julie, Rose, Jeanne, Louise. Fiancée, épouse, mère, sœur elles sont fières de voir partir leurs hommes au combat en août 1914. Avec leurs beaux pantalons rouges il vont rejoindre Berlin en quelques semaines, mettre une déculottée à Guillaume et revenir avant qu'on ait le temps de s'apercevoir qu'ils sont partis. Mais pour Julie, Rose, Jeanne, Louise et les autres l'attente commence à se faire longue. Il faut trouver de quoi vivre, nourrir les enfants. Et tandis qu'elles se font ouvrières et prennent la place laissée vacante par les hommes sur les chaînes de production des usines d'armement, les robes noires fleurissent plus vite que les coquelicots.

Julie, Rose, Jeanne et Louise font connaissance dans un atelier de fabrication d'obus. Un travail répétitif, fait de gestes précis car dangereux. Toute la journée elles manipulent des matières explosives. La poudre jaune s'incruste dans la peau, dans les cheveux, dans les poumons. Un travail pénible, 12h par jour, payé à la pièce (deux fois moins que les hommes), avec de temps en temps un dimanche de repos. Dans les ateliers des femmes, partout, encadrées par des contremaîtres masculins rappelés du front pour superviser le travail des femmes. Un salaire de misère, et un verre de lait quotidien.


UN TEXTE ÉMOUVANT CRIANT DE VÉRITÉ

Le texte émouvant de Michel BELLIER fourmille de détails sur le quotidien de ces femmes qui n'avaient d'autre choix que le courage. Au travers des histoires de ces 4 femmes d'âge et de situation différentes ce sont toutes les émotions, toutes les difficultés, toutes les petites joies et les grandes peines qui sont mises en mots et en action. 

La mise en scène sobre de Joëlle CATTINO permet de faire entendre ces paroles de femmes et la beauté du texte. Le talent de Valérie BAUCHAU (Rose), Céline DELBECQ (Louise), Anne SYLVAIN (Jeanne) et Blanche Van HYFTE (Julie) donne une interprétation toute en finesse et en sensibilité, transmettant au spectateur toutes les émotions de leurs personnages : la fougue de Louise l'étudiante suffragette qui aspire à devenir journaliste, les craintes de Rose, le Bibelot, pour son époux, les réticences de Jeanne qui rejoint l'usine car elle n'en peut plus de coudre des robes noires et qui tremble pour ses trois hommes répartis sur le front, la douleur de Julie lorsqu'elle apprend la mort de son mari. On tremble pour leur vie, leur santé tant les conditions de travail se font au mépris de toute réglementation. On peine à les voir faire leur dur labeur. On pleure avec elles leurs hommes sacrifiés. On respire avec elles cet air de liberté qui remplit un dimanche de printemps, ces espoirs de changement de la société quand la grève les mobilise alors que la révolte gagne aussi le front. On espère avec elles en des jours meilleurs.

UN PETIT BIJOU

Cette création délicate et criante de vérité est un petit bijou dans tous les domaines. Le texte et la direction d'acteur sont magnifiés par la qualité et l'esthétique de la mise en lumière et la scénographie de Jean-Luc MARTINEZ, la musique de Dominique LAFONTAINE et les costumes de Camille LEVAVASSEUR.

En cette période de commémoration du centenaire de la Première Guerre Mondiale, LES FILLES AUX MAINS JAUNES permet d'aborder la Grande guerre sous un angle rarement retenu : celui de la prise de conscience des femmes de leur rôle dans la société et le début de leur émancipation. Le chemin est long pour et il en reste encore à parcourir mais les premières marches ont été gravies pendant ces années de sacrifices. Quel paradoxe que ces femmes courageuse aient pu découvrir la voie de l'émancipation en fabriquant les objets de mort qui retenaient leurs hommes sur le champ de bataille. Dans ces ateliers d'une usine d'armement ces quatre portraits de femme remettent en lumière des valeurs que l'on a trop tendance à oublier, à commencer par la solidarité.

« Si les femmes s’arrêtaient de travailler vingt minutes, les Alliés perdraient la guerre ! » Maréchal Joffre

En bref : LES FILLES AUX MAINS JAUNES est une petite pépite théâtrale. LE COUP DE COEUR que j'attendais depuis le début de ce OFF 2016. Des comédiennes lumineuses, une mise en scène délicate, un texte brillant. L'émotion est intense. Un théâtre social d'une qualité rare.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?

Avignon Festival Off 2016
Théâtre le Girasole
24 bis Rue Guillaume Puy - Avignon
Du 7 au 27 juillet 2016 - 20h45 - Durée : 10h20


Crédit photo @ Bruno Mullenaerts

STAVANGER

RÉCONCILIER L'INCONCILIABLE
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JUSQU'AU BOUT DE LA NUIT

Florence Bernstein est avocate. Cette nuit-là elle a réussi à convaincre Simon de ne pas rester allongé sur les rails. Il est désemparé alors qu'il la suit chez elle. Dans cet appartement très chic, tout de noir et d'argent, où elle lui offre du champagne et du caviar il est comme perdu. Elle est élégante, calme, sereine. Il a froid, il ne cesse de le répéter. Il est replié sur lui-même, nerveux, instable. Elle semble savoir quelque chose qu'il ignore. Le temps semble suspendu. Ils ont quelques heures pour échanger sur leur vie, leur passé, et pourquoi pas sur leur avenir. Jusqu'à ce qu'ils se trouvent un point commun : la ville portuaire de Stavanger en Norvège. Une coïncidence ?

STAVANGER est une pièce d'ambiance. Le décor, la lumière, la musique, les sons : tout concours à instaurer une atmosphère froide, feutrée, troublante, un peu fantasmagorique. Un projecteur dans un angle diffuse sa lumière vive sur une diagonale formée par une froide table de bar et un fauteuil accueillant. Florence, tout de noir vêtue, est tantôt bienveillante, tantôt inquisitrice. Elle se dérobe dès que les questions de Simon la dérangent. Un regard, un mouvement des sourcils, un plissement des lèvres : le jeu de Silvia ROUX est d'une sensibilité, d'une justesse et d'une précision extraordinaires, faisant passer des messages et des émotions par des petits riens que la précision de la lumière permet de révéler.


UNE DIRECTION D'ACTEUR REMARQUABLE

Face au mélange de chaud et froid de Florence Simon est perdu, désarçonné, tendu, vulnérable. Les questions de l'avocate, rouée à l'art de faire parler, le ramènent à son passé, à la mort de sa mère. Petit à petit Florence le pousse à revivre son enfance, à exprimer ses frustrations, ses colères, à revenir aux racines des ruptures familiales successives. Elle qui a eu un parcours en apparence plus paisible, saura-t-elle l'amener sur la voie de la réconciliation ? Tout aussi juste que sa partenaire Thomas LEMPIRE incarne un Simon fragile, constamment en équilibre, à la limite de la folie. 

La mise en scène de Quentin DEFALT rend parfaitement l'esprit de ce que voulait l'auteur Olivier SOURISSE : mettre une voix sur des non-dits. "Avec Stavanger j'ai voulu trouver la clé qui permet de modifier le cours d'une vie. A travers le prisme d'un secret de famille, on aborde l'enfance, ce qu'elle a été, ce qu'elle aurait dû être". Le texte est limpide et fin. L'intrigue est construite avec intelligence, ménageant des rebondissements, jusqu'au final très émouvant.

Il faut saluer le travail d'Olivier OUDIOU pour la mise en lumière et de Ludovic CHAMPAGNE pour l'ambiance sonore qui donnent à STAVANGER une très belle qualité esthétique.

En bref : Première pièce d'Olivier SOURISSE, STAVANGER se révèle être une très bonne surprise. L'écriture est fine, la direction d'acteur remarquable, l'interprétation subtile. Une réussite

C'EST OU ? C'EST QUAND ?

Avignon Festival Off
L'Arrache-Coeur
12 Rue du 58ème RI Porte Limbert - Avignon
Du 7 au 30 juillet 2016 - 16h50 - Durée : 1h15

Sera repris au Studio Hébertot du 17 février au 29 avril 2017
Du mardi au samedi - matinée à 15h le dimanche


Crédit photo @ Courtois

mardi 26 juillet 2016

MARCO POLO ET L'HIRONDELLE DU KHAN

AMOUR, DÉSIR ET POUVOIR ENTRE ORIENT ET OCCIDENT
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LE NOUVEAU VOYAGE D'ERIC BOUVRON

Il y a deux ans Eric BOUVRON nous emportait dans les steppes afghanes, sur les pistes de Joseph KESSEL avec LES CAVALIERS. Cette fois-ci nous partons un peu plus loin en orient pour une nouvelle aventure sur les pas de Marco Polo. Alors que son empire est en pleine expansion le souverain mongol Kublai Khan accueille le marchand vénitien. Ce sera pense-t-il un atout pour ses futures conquêtes territoriales. Mais plus que la magnificence et la richesse du khan c'est la beauté de sa quatrième épouse qui va subjuguer l'italien. Entre les trois protagonistes de cette lutte pour l'amour un jeu de manipulation et de pouvoir se met en place, guidé par le désir commun de deux hommes pour une femme. Quel sera le prix à payer ?

CRÉATION ORIGINALE

Il ne s'agit plus d'une adaptation mais d'une création. Pour écrire cette histoire d'hommes et de femme charismatiques Eric BOUVRON s'est plongé dans les livres et documentaires sur cette époque. On sait peu de choses de la vie intime de ces deux personnages qui ont partagé 16 ans de leur vie. Il a fallu imaginer cette rencontre entre deux générations, deux cultures.


MARCO POLO ET L'HIRONDELLE DU KAHN nous plonge avec réussite dans l'atmosphère magique de l'Orient, sans toutefois avoir le souffle épique de sa précédente création. Le son est à nouveau un élément déterminant de ce voyage. Trois musiciennes / chanteuses présentes sur scène planent sur la pièce comme des esprits, créant cette ambiance orientale hors du temps avec leur musique ensorcelante et la voix angélique de Cécile MELTZER. La scénographie est légère : un décor nu hormis une petite scène en pente au centre du plateau, qu'une fourrure transforme en lit.


Les trois comédiens sont à l'unisson. Laurent MAUREL est l'imposant et redoutable Kublai Khan, petit-fils du grand Gengis Khan. Sa carrure, sa gestuelle, sa voix tonitruante, il est ce chef de guerre impitoyable qu'on imagine, affaibli par une maladie, mais redoutable adversaire sur le terrain de l'amour comme de la politique. Kamel ISKER interprète un Marco Polo charmeur, armé de la fougue de sa jeunesse et de son insouciance d'aventurier pour contrer le puissant souverain. Fou amoureux de la belle épouse de son hôte il ne sera pas à la hauteur du courage de cette dernière. C'est Jade PHAN-GIA qui donne sa grâce à la femme désirée. A la fois tendre et forte, magnifique danseuse au charme irradiant, elle laisse éclater la finesse de son jeu dans une magnifique scène ou explose la passion de l'hirondelle pour le khan, son unique amour.

NB : Changement de distribution pour la reprise au Théâtre La Bruyère. Les commentaires ci-dessus se réfèrent à la distribution de juillet 2016 lors du Festival Off au Théâtre Actuel

Marco Polo et l'hirondelle du Kahn, de Eric Bouvron, mise en scène de l'auteur, avec Jade Phan-Gia, Kamel Isker en alternance avec Eliott Lerner, Laurent Maurel, musiques et chants Ganchimeg Sandag, Boushigmaa Santaro, Cécilia Meltzer et Didier Simione


En bref : Reprenant ce qui a fait le succès des CAVALIERS, Eric BOUVRON nous emmène dans un nouveau voyage envoûtant. La distribution parfaite nous plonge avec réussite dans l'intimité du Khan, souverain de l'orient, sur les traces de l'aventurier Marco Polo, dans leur rivalité pour une troublante hirondelle. Une belle aventure.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Théâtre LA Bruyère
5 Rue La Bruyère 75009 Paris
A partir du 13 septembre 2017
du mardi au samdi 21h - matiné samedi 15h30


Vu Avignon Off 2016 - Théâtre Actuel
Mise à jour du 06/08/17

lundi 25 juillet 2016

LE QUATRIÈME MUR

ÉMOUVANTE ADAPTATION DE L'OEUVRE DE SORJ CHALANDON
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A TOUTES LES ANTIGONES

Eternel militant Georges s'envole pour Beyrouth afin de tenir la promesse faite à son ami Samuel Akounis. Ce dernier, pacifiste juif grec de Salonique, dont la famille a péri à Birkenau, s'est réfugié à Paris. La maladie l'a cloué au lit et il confie à Georges, l'ami de toujours, la tâche réaliser son projet utopique de monter Antigone de Jean Anouilh en réunissant sur scène les belligérants de la guerre du Liban, toutes religions et toutes options politiques confondues. Nous sommes dans les années 80. Beyrouth est mise à feu et à sang dans une guerre fratricide. Ainsi Antigone sera palestinienne. Hémon sera un Druze, Créon un Maronite, les garde seront Chiites, mais il y aura aussi des chaldéens, des Arméniens. Une manière de "donner à des ennemis une chance de se parler", de "les réunir autour d'un projet commun".


THEATRE, HUMAN BEATBOX ET DANSE

La Compagnie des Asphodèles a marqué le Off depuis 2013 avec "Les Irrévérencieux". Cette fois ils ont choisi d'adapte à la scène le Quatrième Mur, texte de Sorj CHALANDON couronné notamment du Prix Goncourt des Lycéens en 2013. Quelques boites de métal, des habits de tous les jours : c'est une mise en scène sans fioritures que propose Luca FRANCESCHI. Il n'en faut pas plus que le talent des comédiens de cette compagnie dynamique pour faire naître des émotions fortes.

Sorj CHALANDON dit que lorsqu'il a assisté à la première représentation il a été ému aux larmes en voyant ses personnages prendre vie avec une telle fidélité à son roman. "Aux premiers mots, aux premiers pas. Mes personnages indociles, leurs rêves, leurs certitudes, leur chagrin...J'ai reconnu chacun d'entre eux".

Au rythme du Human Beatbox (musique avec la bouche), agrémenté de quelques passages de hip-hop (dont on ne saisit pas toujours la justification), le récit se déroule, fluide, avec toute sa tension dramatique mais non sans quelques pointes d'humour qui permettent de relâcher un peu la pression. On ressent les inquiétudes de Georges lorsqu'il débarque dans cet aéroport étranger, on tremble de peur lors de son voyage en voiture au sein de ce pays en guerre, on vibre à l'espoir de voir se réaliser cette utopie d'une bulle de paix de 2h au cœur de ces populations déchirées.

On ressort de la salle ému par l'histoire, touché par le jeu des comédiens, avec l'envie de lire ou de relire le texte de Sorj CHALANDON.

Au théâtre le quatrième mur est celui qui sépare la scène du public. Ici pas de quatrième mur : le comédien s'adresse directement au public.

En bref : Le dynamisme des six comédiens, le rythme de la mise en scène, la qualité du texte, le mélange des genres. Un théâtre qui apporte émotion et réflexion. Tous les ingrédients sont réunis pour construire un théâtre intelligent et de qualité, qui nous parle de fraternité et d'espoir tout en s'interrogeant sur la place de l'art dans la société. A ne pas manquer..

C'EST OU ? C'EST QUAND ?

Avignon Festival Off 2017
Théâtre des Carmes
Place des Carmes - Avignon
Du 7 au 30 juillet 201 - 19h00 - 1h40 Relâche le lundi


Vu Avignon Off 2016 - Chapelle du verbe incarné
Mise à jour du 18/06/17

JE NE SUIS PAS UNE LIBELLULE

UNE VOIX MAGIQUE
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C'est avec Le crime de l'Orpheline que j'ai découvert Flannan OBE. Sa chaude voix de baryton et son talent de comédien m'ont séduite et c'est un grand plaisir de le retrouver dans ce spectacle musical JE NE SUIS PAS UNE LIBELLULE.


Accompagné par Yves MEIERHANS au piano, lequel a également composé et arrangé les chansons du spectacle, Flannan OBE nous promène pendant un peu plus d'une heure dans son univers poétique, parsemé d'une bonne dose d'humour. Dans une ambiance intimiste il partage avec nous le chemin de son personnage souriant et attachant. Chanson après chanson nous découvrons ses rêves, ses doutes, ses craintes, ses galères, ses succès, ses colères, ses espoirs et son indéfectible foi en sa réussite.


Comment survivre à un rêve d'enfant trop grand ? A un short beaucoup trop court ? A une histoire d'amour qui rate ? Comment devient-on un garçon qui chante ? Entre créations et reprises, y compris de chansons oubliées depuis longtemps, avec sa voix magique et un humour tendre, dans un parfait équilibre entre parole et chansons, Flannan OBE nous propose un voyage dans son univers singulier parfois cocasse. Rire et émotions sont au rendez-vous, dans une mise en scène sobre de Jean-Marc HOOLBECQ. 



Pour en savoir plus : Flannan OBE est doublement présent dans le Off 2016 puisqu'il est aussi au programme de La Luna à 16h20 avec Le Crime de l'Orpheline

En bref : Entrez dans l'univers cocasse, tendre, sensible d'un garçon qui a réalisé son rêve. Un spectacle musical intimiste, touchant. Flannan OBE a non seulement une voix extraordinaire, c'est aussi une personnalité très attachante.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Avignon Off 2017
Le Petit Chien
76 Rue Guillaume Puy - Avgnon
du 7 au 29 juillet - 14h - Durée : 1h15


Crédit photo @Paule Thomas
Vu Avignon Off 2016 - Théâtre du Petit Chien

samedi 23 juillet 2016

MAXI MONSTER MUSIC SHOW

CA SWINGUE CHEZ LES FREAKS
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Depuis le temps que je lis que ce cabaret forain déménage il était temps que je m'y rende, et quel meilleur moment que la fin d'une journée de spectacle vivant dans le Festival Off à Avignon. Les compliments n'étaient pas usurpés.


Gina la Poupée Barbue (Solange de Dianous) nous accueille dans une ambiance feutrée, entourée des artistes qui composent le MAXI MONSTER MUSIC SHOW. Séductrice sulfureuse, affriolante à souhait, la reine de cette cour des miracles, amoureuse du propriétaire du cabaret, s'est entourée de comparses tout aussi intrigants : l'Homme fort le plus petit du monde (David Ménard) qui fait trembler sa batterie et son ukulélé, le Fakir assomniaque (Benoit Delacoudre) aussi électrique que sa guitare, la femme-tronc (Geneviève Thomas) à la chanson gouailleuse et au mélodica fou, l'Homme-Femme (Antoine Tiburce) au piano swinguant et La danseuse macabre (Moïra Montier Daubiac) impassible avec sa contrebasse envoûtante.  


Le spectacle musical mis en scène par Bernard LAVIGNE nous promène dans un univers qui marie avec bonheur différents styles musicaux : de l'univers forain au jazz, du rock au classique. Tandis que les chansons s'enchaînent sans temps mort les personnages installent leur histoire. Dans cette ambiance fantasmagorique, les "monstres" aux superbes maquillages inquiétants se dévoilent, nous racontent leur histoire, prennent corps et deviennent des êtres attachants

En bref : La voix et l'énergie de Solange de Dianous, accompagnée par ses talentueux musiciens, la qualité des textes et des musiques font de ce freak-show un hymne festif à différence et à la tolérance. Un joli message pour un excellent moment musical.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?

Avignon Festival Off
Théâtre des Béliers
Impasse Magnanen - Avignon
Du 7 au 31 juillet 2016 - 22h35 - Durée : 1h10



TOUTE MA VIE J'AI FAIT DES CHOSES QUE JE SAVAIS PAS FAIRE

CHRONIQUE DE LA VIOLENCE ORDINAIRE
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LE MORDANT DE REMI DE VOS

Il est allongé sur le sol. Corps inerte ceint de la marque blanche dessinée à la craie sur les scènes de crime. Une voix rauque, comme venue d'outre-tombe, résonne. "Je l'avais jamais vu de ma vie, et je me demande pourquoi il m'a cherché comme ça...". Ainsi commence ce monologue par lequel cet homme, victime de la haine ordinaire et de la violence aveugle, va chercher à comprendre ce qui lui est arrivé. Une voix fragile. Une parole qui hésite, se répète, se cherche, qui pourrait s'interrompre à tout moment, à tout jamais. Aucune haine dans son adresse à son bourreau ou aux amis de son assassin. Plutôt une sorte de tranquillité, un ton calme, une diction précise, L'histoire d'un type qui buvait tranquillement un verre dans un café. Une histoire que l'on ne peut pas raconter mais qui s'écoute avec les yeux, qui se voit avec les oreilles, qui s'entend avec le cœur.

Un nouveau texte coup de poing de Rémi de Vos. Pour cette commande l'acidité de sa plume le cède à un ton plus doux qui pour autant ne perd rien de son mordant. Ecrit pour le théâtre du Nord il aborde les thèmes de la peur et de la violence. Celle-ci, bien qu'omniprésente, est comme tenue à distance par cette voix calme qui n'accuse pas mais qui explique, en détachant bien les mots, les syllabes. Des mots simples pour un fait divers presque banal hélas.

PERFORMANCE ATHLÉTIQUE

La performance de Juliette PLUMECOCQ-MECH est époustouflante tant du point de vue de son investissement physique que sur son interprétation du texte. Sur ce format court (45mn) elle est en permanence au sol, allongée ou à genoux, mais pas statique. Ses mouvements accompagnent les ruptures d'une gestuelle chorégraphiée. Son pantalon et son sweat-shirt noir lui donnent une silhouette neutre. Tout comme son personnage elle pourrait être homme ou femme, un individu lambda qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. Sa voix rauque s'arrête. Parfois le noir se fait et nous maintient dans le doute : la voix va-t-elle s'éteindre à jamais ?

Un seul regret : l'écran blanc placé en milieu de scène oblige la comédienne à se placer sur le devant de la scène. A moins d'être au premier rang impossible de la voir pleinement. Un peu de recul pour profiter de la totalité de la profondeur de scène permettrait à la totalité du public de profiter pleinement de son exceptionnelle performance.

En bref : s'inspirant d'un fait divers Rémi de Vos écrit un texte précis et vis sur la peur let la violence. L'interprétation par Juliette PLUMECOCQ-MECH est une remarquable performance. Un monologue coup de poing à ne pas manquer.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?

Théâtre du Rond Point

Du 9 janvier au 4 février 2018 - 20h30 - Durée : 50mn



Vu Festival Avignon Off - La Manufacture - Juillet 2016

vendredi 22 juillet 2016

PROFESSEUR LITTLETOP

IL EST OU LE BONHEUR ?
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TROIS ETRES EN SOUFFRANCE

Elle est pétillante dans sa robe rouge, et impatiente de se rendre à l’invitation du Professeur Littletop. En route elle rencontre un garçon réservé mais extrêmement pointilleux et un homme perdu dans les étoiles. Le professeur, brillant neurophysicien, les a convoqués pour une conférence sur le cerveau, à moins qu'il ne leur propose d'être les cobayes d'une expérience pour trouver le bonheur. Quel point commun de ces trois solitaires ? Le premier, autiste, ne supporte pas le contact physique. Le second, ex-spationaute, n'est plus ému par rien depuis qu'il est revenu sur terre. La dernière n'a plus été prise dans les bras par quelqu'un depuis trop longtemps. Toucher. Etre touché.

"Depuis combien de temps ne vous êtes vous pas attardé au vent ?" Lâcher prise et écouter ses émotions pour toucher l'autre dans ses propres émotions. Un message d'optimisme et de bienveillance pour accueillir l'autre dans sa différence, retrouver ou créer du lien, s'accepter et trouver le bonheur.


BONNE IDÉE, MAIS...

L'idée de la Compagnie Françoise CADOL est séduisante. Les expériences menées par le professeur font naître des instants touchants lorsque les barrières mentales tombent et que le lien se crée entre l'autiste, l'homme perdu dans son passé et la femme en manque d'affection. Françoise CADOL, Sébastien RAJON et Cédric REVOLLON créent trois personnalités attachantes, crédibles dans leur mal-être et qui sont bouleversés par les émotions libérées.

Malheureusement ces passages empreints de poésie et de douceur s'inscrivent dans un ensemble rendu inégal par le personnage du professeur. Très (trop) didactique dans la mise en place de l'histoire il nous perd dans son exposé universitaire du fonctionnement du cerveau. Il gagnerait à être plus farfelu, un peu plus Professeur Tournesol. Quand il quitte la scène ou qu'il se met en retrait pour observer ses trois cobayes l'émotion nous gagne. De plus on ne comprend pas bien comment il est censé donner sens aux différences entre le cerveau gauche et le cerveau droit.

Dommage car un petit grain de folie donnée au professeur pour illustrer les deux pôles du cerveau sans tomber dans une pseudo-schizophrénie ferait de ce beau sujet et de la belle composition de Françoise CADOL, Sébastien RAJON et Cédric REVOLLON un très beau spectacle.

En bref : une belle idée et un beau message perdus dans une construction inégale malgré le talent de ses interprètes.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?

Avignon Festival Off
Théâtre La Luna
1 Rue Séverine - Avignon
Du 7 au 31 juillet 2016 - 12h45 - Durée : 1h20



Crédit photo @Chantal Depagne