UN CANARD SAVOUREUX
Ceux qui me lisent depuis longtemps le savent, le théâtre de boulevard n'est pas ma "cup of tea". C'est certainement pour cette raison que j'avais laissé passer cette mise en scène du fameux Canard à l'orange lors de sa création en 2019. Peut-être aussi parce que pour moi qui comme beaucoup, j'ai grandi avec "Au théâtre ce soir" et des boulevards d'une qualité qui se retrouve rarement aujourd'hui sur les scènes parisiennes. Alors pourquoi aller à la Michodière pour cette reprise ? Peut-être parce qu'après deux années de pandémie, de frustration et d'une ambiance plus que morose, j'avais besoin d'un peu de légèreté. Bien m'en a pris.
La pièce commence par une partie d'échec entre Hugh Preston et son épouse Liz. Il l'a bat à plate couture, comme toujours, puis la piège pour lui faire avouer son infidélité (lui qui n'a pas manqué au cours de leurs 15 années de mariage de succomber aux charmes de nombreuses jeunes femmes !). Liz s'est amourachée de John Brownlow, riche héritier qui en est déjà à son troisième divorce. Commence alors une partie d'échec d'un autre genre, où le roi Preston va enchaîner les coups répondant à une stratégie implacable pour au final mettre son rival échec et mat et ainsi récupérer sa reine.
Le texte de William Douglas-Home, bien que datant de 1967, est adaptée avec brio par Marc-Gilbert Sauvajon, est encore plus modernisé par la mise en scène de Nicolas Briançon. Bien sûr, il y a du Jean Poiret dans cette mise en scène, un hommage au maître, mais il y a aussi le talent d'une équipe qui est à l'unisson. On est loin des portes qui claque et des rebondissements improbables. L'écriture est fine, intelligente, traitant du mariage et de la vie de couple avec plus de profondeur qu'il n'y parait. La traduction et l'adaptation ont su garder toute la richesse de l'humour anglais.
Si le décor de Jean Haas a gardé le charme un peu suranné des années 1960, la mise en scène est très dynamique. Les 5 comédiens ont plaisir à jouer ensemble, en parfaite osmose (mention particulière pour Hélène Médigue qui a repris en 15 jours le rôle de Liz, précédemment interprété par Anne Charrier). Nicolas Briançon en fait des tonnes dans l'humour et l'absurde, sans jamais être dans la caricature ni dans le mauvais goût. On se surprend à être en empathie pour cet homme blessé qui est toujours amoureux de cette femme qui veut le quitter. François Vincentelli est tout aussi hilarant en séducteur benêt et colérique à l'accent belge. Coté féminin, on n'est pas en reste. Sophie Artur est la rigueur de la gouvernante britannique à qui les subtilités des situations provoquées par Hugh Preston échappent totalement. Camille Lavabre est "Patty Pat", Mlle Forsyth, la secrétaire bimbo et ambitieuse de Preston, et élément perturbateur et pièce maîtresse de sa stratégie. Avec ses jambes longues comme un jour sans pain, elle ne laisse pas les hommes indifférents. Elle est pétillante et superbe quand en un geste elle laisse enfin paraître sa vraie personnalité. Et puis il y a Hélène Médigue, la seule qui ne semble pas emportée par ce tourbillon de folie, figure un brin tragique interprétée avec beaucoup de sensibilité.
En bref : Avec cette mise en scène brillante qui doit beaucoup à Jean Poiret, et une distribution brillante et à l'unisson, Nicolas Briançon rend ses lettres de noblesse au théâtre de boulevard de qualité. Ne passez pas à côté de ce Canard à l'orange plus que savoureux.
Le canard à l'orange de William Douglas-Home, adaptation de Marc-Gilbert Sauvjon, mis en scène par Nicolas Briançon, avec Nicolas Briançon, Hélène Médigue, François Vincentelli, Camille Lavabre et Sophie Artur.
C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Théâtre de la Michodière4 bis rue de la Michodière 75002 ParisReprise depuis le 19 janvier 2022Du mercredi au samedi 20h - dimanche 15h30
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