Lutte de pouvoir
Le regard de Corinne
Dans le silence de la salle Richelieu, une sirène, placée à l'avant de la scène, au centre, retentit faisant sursauter le public, surpris. Son cri strident annonce la célébration d'une mort. Ce sifflement aigu rappelle celui d'un train, celui des trains de la mort. Tout au long de la soirée cette sirène rythmera chacun des décès au sein de la famille Von Essenbeck.
La machination infernale en ordre de marche...
L'histoire est inspirée de celle de la famille Krupp, propriétaire d’aciéries dans la Ruhr. Pour célébrer l'anniversaire du patriarche Joachim Von Essenbeck (Didier Sandre), la famillese réunit. L'annonce, pendant le repas, de l'incendie du Reichtag le pousse à se déclarer en faveur du rapprochement du régime nazi. Il pressent que face à celui-ci la neutralité ne sera pas possible. Il prend cette décision dans l'intérêt de la famille. A partir de cet instant, les événements s'enchaînent et la lutte pour le pouvoir sera féroce et meurtrière, comme par mimétisme à la montée et à l'affirmation de l'idéologie nazie.
Friedrich Bruckmann (Guillaume Gallienne) et sa maîtresse, Sphie Von Essenbeck (Elsa Lepoivre), proches des SS et avides de pouvoir, complotent pour récupérer la direction des aciéries. Friedrich tue le baron et fait accuser Herbert Thgallman, neveu de Joachim (Loïc Corbery), fermement opposé au régime nazi. La famille sombre alors progressivement dans la sauvagerie, la barbarie, jusqu'à sa quasi élimination.
Ivo van Hove adapte pour la première fois en 2016 au Festival d'Avignon, puis à la Comédie Française, le scénario du film culte de Luchino Visconti "Les Damnés". Sa mise en scène est brute comme pour ne pas nous influencer dans notre perception du climat de cette époque. Il nous donne l'opportunité de saisir l'ambiance qui régnait en Allemagne en février 1933, au moment de l'accession au pouvoir d'Hitler. L'usage qu'il fait de la vidéo (projection d'images d'archives mais aussi diffusion en direct du jeu des comédiens sur scène) donne corps à cette sensation de basculement dans l'arbitraire et la décadence. Les bouleversements, tant de la société que des individus, se déroulent là, sous nos yeux, grâce à ce média.
Un texte fort et exigeant...
Pour transcrire cette ambiance lourde, pesante et décadente qui règne dans cette famille, il fallait des comédiens capables d'aller loin dans leur interprétation. La violence et la folie, maîtresses chez les Von Essenbeck, sont ainsi magistralement interprétées par une Denis Podalydès (baron Konstantin Von Essenbeck) et son acolyte de beuverie des SA, au point de finir nus sur scène dans des postures pas toujours avantageuses, ou encore par Christophe Montenez (Martin Von Essenbeck) qui, de victime manipulée fini par être le bourreau de sa mère et de son amant. Elsa Lepoivre et Guillaume Gallienne quant à eux incarnent avec beaucoup de réalisme l'avidité et le machiavélisme.
En bref, le public sort de ce spectacle sans pouvoir dire s'il l'a aimé ou pas. Par contre il est sûr que celui-ci est déroutant, dérangeant, et que c'est précisément l'effet recherché par son metteur en scène.
Les Damnés, d'après Luchino Visconti, mise en scène Ivo van Hove, avec Elsa Lepoivre, Adeline d'Hermy, Anna Carvinka, Sylvia Bergé, Didier Sandre, Denis Podalydès, Guillaume Gallienne, Loïc Corbery, Eric Génovèse, Christophe Montenez, Clèment Hervieu-Léger, Alexandre Pavloff, Pierre-Louis Calixte, Sébastien Pouderoux
C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Comédie Française
Place Colette - 75001 Paris
Du 20 mars au 2 juin 2019
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