dimanche 9 décembre 2018

LA MACHINE DE TURING - Théâtre Michel

PLUS QU'UNE IMITATION GAME* UNE INCARNATION
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1952. Un professeur de mathématiques vient porter plainte pour vol. Pourtant le butin du voleur est maigre. L'inspecteur est intrigué par l'homme qu'il a devant lui. Ce dernier, mal dans sa peau, stressé, bègue, n'est pas très clair dans ses explications. Il se nomme Alan Turing. Mathématicien de génie il a joué un rôle primordial pendant la Seconde Guerre Mondiale en déchiffrant le code Enigma. Mais en 1952 personne ne le sait. La pièce va nous raconter, avec moult flashback, l'histoire de cet homme au destin tragique. Le rôle d'une vie pour Benoît Soles.

LE DESTIN TRAGIQUE D'UN GÉNIE

Depuis le film "Imitation Game" avec Benedict Cumberbatch tout le monde connait le nom d'Alan Turing. En 1942 il déchiffra le code Enigma, code au plus de 159 milliards de combinaison qu'utilisaient les Allemands pour leurs communications chiffrées pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il participa ainsi à sauver des millions de vies, à écourter la guerre de 2 ans. Pourtant il est mort dans la solitude. Condamné pour homosexualité sous le coup d'une loi datant de 1885 il choisit la castration chimique plutôt que la prison. Car à l'époque l'homosexualité est considérée comme un délit et une maladie mentale. Diminué physiquement et surtout intellectuellement il se suicida en 1954, en avalant une pomme recouverte de cyanure, comme Blanche-Neige qu'il aimait tant. Ses travaux sont précurseurs des ordinateurs. Une pomme, ça ne vous fait pas penser à quelque chose ?

"La machine de Turing" met l'accent sur la personnalité d'Alan Turing. On le rencontre en 1952, alors que la plainte pour vol à domicile qu'il va s'apprête à déposer va être le déclencheur de sa chute. Partant de ce moment clé de sa vie le spectacle nous fait voyager dans le temps, avant et après cette date funeste. Nous le découvrons alors qu'il est recruté à l'université pour le projet Enigma, partageons ses souvenirs et notamment celui de Christopher, vivons ses doutes, ses angoisses, ses élans de cœur, ses frustrations. Une vie en marge d'un monde qui ne le comprend pas. "Quoi de mieux qu'une machine pour battre une machine, ou qu'un fou pour battre un autre fou". Ainsi se définit-il face à la machine Enigma.

LE RÔLE D'UNE VIE

Écrite avec beaucoup de finesse et d'intelligence la pièce de Benoit Soles est d'une grande finesse en tout point. Le texte reconstitue avec générosité, humour, finesse, un parcours atypique. Dressant le portrait d'un homme à la personnalité complexe il nous montre le génie un peu autistique concentré sur la complexité de la machine Enigma, un défi qu'il veut relever pour l'intérêt intellectuel plus que pour l'enjeu pour l'armée en ce temps de guerre. Il dépend aussi un homme d'une extrême sensibilité, gauche dans ses relations avec les êtres humains, ému par Blanche-Neige mais en apparence sourd à la tragédie de la guerre.

Benoit Soles n’interprète pas Alan Turing. Il EST Alan Turing, cet homme tantôt gauche et bourré de tics, tantôt petit garçon face au voyou qu'il aime. Il passe d'un état, du professeur désabusé et un brin cynique au savant fou capable de fulgurances intellectuelles, d'une époque à l'autre avec une facilité déconcertante. Il déploie un jeu d'une extrême finesse et sensibilité. La direction d'acteur de Tristan Petitgirard lui permet d'exprimer toutes les subtilités d'un personnage extrêmement attachant. Il y a de la graine de Molière dans cette interprétation.

Il est épaulé par Amaury de Crayencourt qui tire remarquablement son épingle du jeu en interprétant 3 personnages : le commissaire Ross qui reçoit la plainte, Alexander le génie des échecs qui sera en compétition avec Alain Turing pour déchiffrer Enigma, et Arnold, le peu scrupuleux mauvais garçon des faubourgs qui abuse de la sensibilité de Turing. Un changement dans un élément de costume et il devient l'un ou l'autre

La mise en scène de Tristan Petitgirard est dynamique, rythmée. Jouant les volte-face elle inscrit la pièce dans une sorte de thriller psychologique tout en jouant avec les codes des films d'espionnage. La scénographie utilise avec réussite la vidéo pour créer l'atmosphère de l'époque.

NB : Il faudra attendre 2009 pour que le Prime Minister Gordon Brown présente les excuses du gouvernement britannique pour la manière dont Alan Turing fut traité. C'est en 2013 que la Reine Elizabeth exprima un pardon posthume. Plus de 40.000 homosexuels furent victimes du Criminal Law Amendment Act avant son abolition en 1967.

En bref : La machine de Turing rend hommage avec générosité et finesse à Alan Turing, génie maltraité du XXe siècle. Un rôle incandescent pour Benoît Soles qui signe une écriture et une interprétation qui embrasse toute la complexité du personnage et de l'époque. Avec intelligence, sobriété et humour il nous offre un spectacle d'une grande qualité ou l'émotion est présente du premier au dernier mot. On n'a pas fini d'entendre parler de cette Machine de Turing.

La machine de Turing, de Benoit Soles, mise en scène de Tristan Petitgirard assisté de Anne Plantey, avec Benoit Soles et Aumaury de Crayencourt, décor Olivier Prost, costumes Virgnie H, lumières Denis Schlepp, musique Romain Trouillet

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Théâtre Michel
Rue des Mathurin 75009 Paris
Jusqu'au 30 mars 2019
du mardi au samedi 21h - dimanche 16h


Crédit photo @Fabienne Rappeneau

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