LES MOLIÈRES DE VITESSE
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(Merci @Ameriquebecoise pour ce titre)
UN THÉÂTRE "PAR L'ART, POUR L’HUMANITÉ"
Il y a 123 ans un poète décide que la culture c'est pour tout le monde et partout. En 1895 Maurice Pottecher quitte Paris qui lui valut la célébrité et revient à Bussang, sa ville natale, dans les Vosges. Là commence la belle aventure du Théâtre du Peuple : un théâtre "par l'art pour l'humanité". Maurice Pottecher y fixe quelques principes qui sont toujours en vigueur aujourd'hui :
- un magnifique bâtiment de bois dont le fond de scène s'ouvre sur la forêt vosgienne. (Et quand le soleil est là c'est tout simplement magique)
- attirer un public nombreux et diversifié. (Et d'une très grande fidélité. Le défi aujourd'hui est comme partout de faire venir les jeunes)
- proposer un répertoire varié, de haute qualité et adapté au lieu. (Assez classique au départ le répertoire s'est ouvert aux écritures contemporaines)
- un lieu de rencontre entre amateurs et professionnels (un principe égalitaire que le nouveau directeur pousse jusqu'à demander aux comédiens d'assurer le service au bar, à la vente de produits dérivés ou de glaces).
Un précurseur que Maurice Pottecher. qui bien avant Jean Vilar, Antoine Vitez ou Ariane Mnouchkine créait un lieu d'expression d'un théâtre populaire sans être populiste. 123 ans plus tard cet esprit règne toujours dans ce lieu magique dont on ne peut que tomber amoureux / amoureuse.
Nommé il y a un an Simon Delétang a à cœur de poursuivre cette mission de transmission du savoir et de la culture sur ce territoire. Pour sa première saison il a organisé une programmation variée. Il n'y a que quelques années que j'ai appris l'existence de ce théâtre. Il a fallu qu'y soit programmé "Littoral" pour que je fasse le voyage. A 4h30 de route de Paris c'est un weekend de détente, de passion, de nature et de convivialité qui s'est révélé une pause revigorante et qui se termine avec une envie : revenir l'année prochaine.
MOLIÈRE REVIGORE
C'est en 1978 qu'Antoine Vitez choisi de monter pour le Festival d'Avignon quatre pièces de Molière. Il s’appuie sur une troupe de jeunes comédiens qui évoluent dans un décor unique. Gwenaël Morin reprend cette idée il y a 5 ans. Il fera de cette démarche et de ces textes la base de son travail avec des élèves acteurs de Lyon. Il rajoute une contrainte : les rôles sont distribués par tirage au sort. Ainsi pas de distribution par genre, les comédiens pouvant jouer des rôles féminins et les comédiennes des rôles masculins, ce pour les rôles principaux comme pour les rôles secondaires.
Les quatre pièces retenues sont assez représentatives de la diversité de l'oeuvre de Molière. On retrouve quatre textes qui firent polémique : "L'école des femmes" qui se moque du mariage et de la misogynie des hommes, "Dom Juan" le provocateur hâté qui ne cesse de défier le ciel, affublé de son valet Sganarelle, "Tartuffe" l'hypocrite qui fut interdit sous l'influence de l'église, et "Le Misanthrope" l'amoureux qui fuit les hommes, perçu comme une critique de l'autorité et du droit des privilégiés.
Quatre comédies, quatre polémiques, quatre pièces menées tambour battant par les jeunes comédiens retenus par Gwenaël Morin. La mise en scène et l'énergie des comédiens donnent toute la dimension de farce et de grivoiserie de "L'école des femmes". Si le partie pris de la vitesse et de l'humour passe moins bien sur "Tartufe" on retrouve le piquant de "Dom Juan" qui devient une pièce d'un burlesque que je ne soupçonnais pas, avec un Sagnarelle presque aussi couard que dans Scapin et qui ne perd pas une occasion de se lancer dans des disputes intellectuelles avec son maître. Quant au "Misanthrope" il clôt l'intégrale en beauté avec une version encore plus débridée que les trois pièces qui l'ont précédé. Les puristes en seront pour leurs frais, mais il y a une telle énergie positive, un tel enthousiasme, un tel plaisir partagé qu'on lâche prise et on se laisse porter par ces mises en scène qui filent à grande vitesse sans perdre ni le texte ni le fil de ses idées.
Les 4 pièces sont présentées soit une par soir en semaine soit en intégrale le week-end. Je ne peux que vous encourager à voir l'intégrale. On profite alors encore plus de l'effet farce et des touches burlesques telles les running gags qui rebondissent d'une pièce à l'autre ou à l'intérieur de chacune, d'un certain crescendo dans l'énergie et la farce. On savoure les "écarts" de texte, corrigés par le souffleur / la souffleuse qui rythme les actes au son du tambour. On laisse le charme du lieu agir et la fraîcheur du jeu des comédiens nous séduire.
Pas de décor, très peu d'accessoires, pas de costume d'époque mais quelques rubans et de vêtements qui respectent ou pas le genre des personnages compte tenu de la répartition par tirage au sort des rôles. Une lumière qui reste tout le temps allumée sur la salle ce qui permet au public qui le souhaite de consulter le texte au moment où il est joué (ce qui peut être perturbant quand plusieurs dizaines de spectateurs tournent en même temps les pages des textes-journaux distribués à l'entrée). Un espace scénique qui ne se limite pas à la scène (mais qui n'utilise pas assez les possibilités de ce lieu unique). Une simplicité qui cache un remarquable travail sur le texte. Si certains passages sont dits très rapidement le rythme de la diction ralenti sur d'autres, laissant entendre le texte différemment. Chaque pseudo lapsus met en évidence l'humour et les jeux de mots cachés.
En bref : un lieu magique et une mise en scène rythmée, dynamique, des jeunes comédiens qui déborde d'une saine énergie communicative : des Molière doublement revisités par Vitez et Gwenaelle Morin. Pour revisiter ses classiques avec bonheur.
Les Molière de Vitez, mise en scène Gwenaël Morin, avec Michaël Comte, Marion Couzinié, Lucas Delesvaux, Chloé Giraud, Pierre Laloge, Benoït Martin, Julien Michel, Maxime Roger, Judith Rutkowski,Thomas Tressy, Jules Guittier
C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Bussang (Vosges)
Du 22 juillet au 25 août 2018
Vu le 11/08/2018 - Théâtre du Peuple - Bussang
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