dimanche 15 avril 2018

PHEDRE - Sénèque - Comédie Française

UNE PHÈDRE TRANSCENDÉE
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Si le Phèdre de Racine est le texte que toute comédienne rêve de jouer, celui de Sénèque fait son apparition à la Comédie Française. L'occasion pour Jennifer Decker d'endosser un rôle à la hauteur de son grand talent.

UNE PHÈDRE DIFFÉRENTE

Aussi étonnant que cela puisse paraître "Phèdre" de Sénèque n'avait jamais été monté sur les scènes de la Comédie Française. C'est Louise Vignaud qui signe la mise en scène sobre de cette très belle création de l'auteur latin. Le philosophe stoïcien fut aussi un grand auteur de tragédie même si une faible partie de sa production nous est parvenue. Sur la petite scène du Studio Théâtre, dans un décor réduit à son strict minimum, les mots résonnent avec force.

C'est une vision moderne qui est présentée, et qui met l'accent sur les frustrations et les passions dévastatrices qui animent Phèdre, Hippolyte et Thésée. Dans l'ombre des rois, des reines et des princes la nourrice (formidable Claude Mathieu) et le choeur (pas assez puissant Pierre Louis-Calixte), témoins et narrateurs éclairent les esprits, tempèrent les fureurs.

Hyppolyte (Nazim Boudjenah) est d'entrée de jeu dépeint comme un jeune homme fougueux, impatient d'ajouter des trophées à sa gloire naissante, frustré d'être dans l'ombre de ce père absent, impétueux guerrier qui veut en découdre avec les ennemis de tous ordres. Face au jeune homme Phèdre, jeune épouse frustrée supporte mal l'absence de son mari Thésée, parti avec son amant Pirithoïs pour les Enfers avec l'objectif d'y enlever l'épouse du maître des lieux.

DUO DÉCHIRANT ET PUISSANT

Quand Phèdre se confie à sa nourrice elle est douleur, déchirement, frustration, jeune femme écorchée, niée dans son rôle. Les choses sont dites crûment, bien plus que chez Racine. Sans fard les situations sont énoncées dans leur brutalité. Déjà du temps de Sénèque elles choquaient. Car Phèdre abandonnée, bafouée, méprisée par Thésée, se rend coupable d'inceste en désirant avec force le fils de son époux infidèle. Ils sont jeunes. La sève monte dans leurs corps en éveil. Et malgré l'épouvante de la situation qu'ils ne peuvent ignorer Phèdre ne peut résister au torrent de sensualité qui l'emporte, sourde aux paroles de sa nourrice.

"S'il y a des criminels impunis, il n'y a pas de criminels paisibles"

Phèdre ne connaîtra pas de repos. Le retour de Thésée après 4 ans d'absence ne fera qu'ajouter du feu au brasier qui la consume.

La tragédie latine laisse exploser dans toute son effervescence l'expression des sentiments exacerbés. Jennifer Decker est une lionne blessée. Elle transmet toute l'intensité des émotions qui animent son personnage. Femme blessée elle est douleur, désir, mensonge, chagrin, espoir, déchirement. Thierry Hancisse est un Thésée tout aussi tragique et torturé. Sous la puissance du roi percent une certaine fragilité et les blessures cachées. Les deux dernières scènes de l'aveu par Phèdre de son crime et malaxant le visage de Thésée puis les réflexions de ce dernier sur la mort de son fils sont des moments d'une extrême intensité. Climax vers lequel nous a portée la progression du récit et du jeu.

On redécouvre cette tragédie sous un nouvel angle. Plus brut, plus humain, plus moderne, malgré quelques longueurs de texte.

En bref : quel plaisir de découvrir ce Phèdre si magnifiquement porté par le talentueux duo formé par Jennifer Decker et Thierry Hancisse. Une création à ne pas manquer et que l'on ne serait pas surpris de voir repris la saison prochaine dans la programmation de la Comédie Française.

Phèdre, de Sénèque, mise en scène de Louise Vignaud, traduction Florence Dupont, avec Claude Mathieu, Thierry Hancisse, Pierre .Louis-Calixte, Nazim Boudjenah, Jennifer Decker, scénographie Irène Vignaud, costumes Cindy Lombardi, lumières Luc Michel, son Lola Etiève, Dramaturgie Pauline Noblecourt

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Comédie Française - Studio Théâtre
Galerie du Carrousel du Louvre
Du 29 mars au 13 mai 2018

Crédit photo @Christophe Raynaud de Lage

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