ATTALI NOUS PERD DANS SES UNIVERS PARALLÈLES
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ET S'IL AVAIT VAINCU !
Les croix gammées qui ornent discrètement les murs de la salle de la Reine Blanche et la musique qui remplit l'espace sèment le doute : sommes-nous bien en 2016 ? Oui, mais dans un aujourd'hui dans lequel les nazis ont gagné la guerre en 1944, sont toujours au pouvoir dans toute l'Europe et imposent leur politique et leur censure. Un aujourd'hui où Jean Cocteau est un auteur oublié, où le progrès semble s'être figé 72 ans plus tôt, où le théâtre ne sert qu'à présenter les classiques ou du vaudeville parce que "les gens veulent voir des histoires simples pas de la politique-fiction" dit un personnage.
C'est dans ce contexte qu'une comédienne et son mari, directeur du théâtre, tentent de monter une pièce subversive écrite en 1943, qui envisageait un futur dans lequel les alliés auraient gagné en 1945. La démocratie régnerait, la société serait plus tolérante au point qu'un coup de foudre pourrait survenir entre une femme et un homosexuel. Impensable dans ce monde de 2016 dominé par la pensée nazie. Survient un coup de théâtre qui nous envoie dans une autre réalité. Nous sommes désormais en 1943. Paris est occupé et un dramaturge écrit une pièce qui se déroulera en 2016. Un 2016 qui aura vu la défaite des nazis. Mais la censure de l'occupant rode et l'auteur doit trouver le moyen de transmettre son texte à sa famille pour l'avenir. Nouveau coup de théâtre qui nous amène dans le 2016 du mariage pour tous, dans un théâtre où un couple de comédien homo répète une pièce de politique fiction, alors que la comédienne tombe amoureuse de l'un des des acteurs homosexuels qui soudain prend la fuite pour rejoindre le Paris uchronique.
MISE EN ABYME DE MISE EN ABYME
Dans cette mise en abyme en forme de matriochka Jacques ATTALI enchaîne les poncifs. "Que reste-t-il du rêve d'une Europe unie" se demande-t-il sans apporter le moindre début de réponse. Ce présent qui aurait pu être manque totalement d'imagination et de crédibilité. Ce labyrinthe dans le temps tourne en rond sans aucune issue. L'ambition est de nous interpeller sur ... sur quoi ? L'histoire n'est que le prétexte à une succession de réflexions banales sur les relations entre les hommes et les femmes, la censure, le théâtre et ses spectateurs. On y dénonce une élite intellectuelle collabo mais ce n'est plus un secret pour personne. La peur domine les deux mondes décrits : peur du pouvoir, peur de l'opinion publique, peur d'affirmer ses convictions, peur de la censure politique ou morale. Une peur qui paralyse, qui tue la créativité, qui fige hommes et idées dans la médiocrité et la facilité. On attendait mieux de la part de celui qui fut le conseiller de François Mitterrand. Plus d'originalité, plus de profondeur, plus de vision.
Ce voyage dans le temps voulu en boucle tourne à vide. "Il faut, du chaos originel de la pièce à la surprise finale, assurer la continuité de la compréhension malgré les coups de théâtre - ou grâce à eux" lit-on dans la note d'intention. Hélas la construction et le texte ne permettent pas de gagner ce pari, l'auteur ayant éprouvé le besoin de mettre dans les dialogues les explications de texte, comme si finalement le spectateur est réellement incapable de dépasser le premier degré et n'attend vraiment du théâtre que des histoires simples et que intuition ne lui permet pas de décoder la volonté de l'auteur.
UN REMARQUABLE TRIO DE COMEDIENS
La mise en scène de Christophe BARBIER manque également de subtilité et plonge parfois dans la caricature (l'échange de SMS, le couple de comédiens homosexuels si caricatural qu'il en devient insultant, le subterfuge des "coups de théâtre"). La scénographie de Pascal CROSNIER qui s'annonçait intéressante en dépassant le 4ème mur est finalement décevante avec son panneau recto verso censé représenter la passerelle entre les époques et sa rangée de sièges. L'ensemble ne m'a pas permis de "passer du cerveau à l'esprit, de l'intelligence à l'intuition" (note d'intention du metteur en scène), et ressemble plus à un vaudeville qu'à un texte avant-gardiste.
Heureusement il reste trois excellents comédiens. Marianne BASLER est tantôt combattante, tantôt craintive, séductrice ou faussement soumise. Xavier GALLAIS multiplie lui aussi les propositions. Jean ALIBERT est remarquable dans toutes les époques, exploitant de toute l'étendue de sa palette de jeu. La conjugaison de ces talents permet de relativiser le propos et de passer néanmoins une agréable soirée.
Hélas, à force de mise en abîme de mises en abîme on finit par toucher le fond. Et pour avoir une idée de ce que pourraient être les mondes parallèles, mon conseil est de lire ou relire "A la croisée des mondes" de Philip Pulman.
C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Théâtre de la Reine Blanche
2Bis passage Ruelle 75018 Paris
Métro La Chappelle ou Marx Dormoy
Du 7 septembre au 3 novembre 2016
Du mardi au samedi à 20h45
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