INTRODUCTION A LA FINANCE DE WALL STREET
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1844 - 2008 : NAISSANCE, VIE ET MORT D'UN EMPIRE
Lorsqu'il débarque à Ellis Island en 1844 Heinrich ne met pas longtemps à comprendre que pour survivre dans ce nouveau monde lui, le juif bavarois doit s'adapter. Il devient Henri Lehman. Rejoint par ses deux frères Emmanuel et Mayer il fait sien le rêve américain. Les trois frères vont l'illustrer au-delà de leurs espérances. 15 ans seulement entre l'ouverture de la petite boutique de vente de tissus d'Alabama "H. Lehman" et l'installation à New York des bureaux de "Lehman Brothers", négociants en coton, non "gestionnaires" puis banquiers. La tête (Henri), le bras (Emmanuel) et la patate (Mayer) avancent à pas de géant dans un monde en construction. Ils incarnent l'esprit d'entreprendre et font preuve d'une grande complémentarité qui leur permet de faire fructifier rapidement leurs idées souvent visionnaires qui mettra leur nom en lettre d'or sur les frontons de dizaines de bâtiments dans le monde entier.
Les fils aînés reprendront le flambeau, transformant la petite entreprise familiale en un groupe international. Deux générations qui ont vu la guerre de Sécession, l'un des frères au Nord, l'autre au Sud. Ils ont vu le chemin de fer traverser le continent. Ils ont participé activement à la naissance de Wall Street. C'est le petit-fils qui en verra l'éclatement de la bulle, la dérive des opérations de trading, la défaillance des organismes de contrôle. Lehman Brothers avait résisté à la crise de 29, ne bougeant pas tandis que tombaient les concurrents. En 2008 le système devait sacrifier l'un des siens pour survivre. C'est la fin de Lehman Brothers dont la chute entraîne dans son sillage toutes les économies mondiales dans une crise dont nous ne sommes toujours pas sortis.
BELLE CONSTRUCTION NARRATIVE
En 2013 Arnaud MEUNIER met en scène le texte de Stefano MASSINI. Trois chapitres pour une saga passionnante qui va décortiquer avec simplicité les rouages complexes de cette machine infernale qui en trois générations traverse presque deux siècles de l'histoire du capitalisme, le tout concentré en un spectacle de 3h40. Brillant
La construction narrative nous présente un conte, une belle histoire, qui se transforme progressivement en thriller économique et sociologique. Trois parties, trois chapitres, trois générations. Les pères fondateurs, sincères, travailleurs, idéalistes, en quête d'une revanche sur la vie et d'une renaissance que seule cette terre d'Alabama pouvait leur offrir. Puis les fils constructeurs, parfaits exemples de l'ascenseur social. Ils ont fait des études dans les plus grandes universités. Ils vont faire fructifier le patrimoine sous le regard protecteur mais parfois dépassé des patriarches. Puis la troisième génération celle qui, dans beaucoup de sagas familiales, va dilapider rapidement ce que les deux précédentes ont mis des dizaines d'années à construire. Une troisième génération qui se croyait immortelle mais qui restera stérile en tous points puisque l'héritier n'aura pas d'enfant malgré trois mariages.
La mise en scène rythmée d'Arnaud MEUNIER nous emporte dans les deux premières parties dans un mouvement enthousiasmant, virevoltant. Entre la première scène et la fin de la deuxième partie il s'est écoulé 85 ans. Le monde a changé sous nos yeux. La petite boutique pleine de balles de coton et de bandes de tissu a fait place aux bureaux cossus, à sa grande table donnant sur une large vitre avec vue sur ses buildings en construction. A l'horizon plus de champs de coton mais des tours rivalisant de hauteur, de grandeur.
Mais la crise de 29 éclate. Un premier séisme ? En tout cas la fin d'une époque. Fin de la stabilité. Fin de l’ascension. Bonjour l'instabilité, à l'image de ce plateau incliné sur lequel la troisième génération tente de s'accrocher. Tous les ingrédients sont en place pour la lente descente vers la crise suivante, vers la chute finale.
LES LIMITES DU PARTI PRIS DIDACTIQUE
Si les deux premières parties sont remarquablement écrites, jouées et mises en scène, la troisième laisse un goût d'inachevé. L'auteur prend le parti d'un récit didactique, sans jamais porter de jugement sur cette épopée, sur les choix pas toujours éthiques. Pas de critique du système, juste une belle et triste histoire. Hélas il manque une dimension dramatique et encore plus réaliste : à peine mentionne-t-on le rôle des traders dans la crise des subprimes de 2008 (le mot n'est pas prononcé). Ils sont présentés comme ces étrangers (ils n'appartenaient pas à la famille), qui pratiquaient un jeu qui rapporte mais dont on n'était pas très fier. La preuve, moins d'un an après qu'ils se soient emparés des rênes (car cette troisième génération a non seulement dilapidé mais elle n'a même pas réussi à assurer la continuité de la dynastie), donc en moins d'un an ils ont tué cet empire colossal, aussi colossal que King Kong.
Il manque à cette fin trop lisse, trop propre parce que trop simplifiée, un peu du sang qui éclaboussait Wall Street en 1929 et qui a coulé sur toutes les places boursières mondiales en 2008 laissant d'une manière plus sournoise que les années 30 des plaies béantes dans des pans entiers de l'économie mondiale.
FRESQUE REMARQUABLE
Il n'en demeure pas moins qu'Arnaud MEUNIER et Stefano MASSINI construisent une fresque remarquable qui vaut mieux que tous les cours d'histoire et d'économie que l'on puisse jamais avoir. C'est documenté, plutôt complet, et si la démonstration est rapide et faite parfois de raccourcis, elle est d'une grande simplicité et d'une grande limpidité. 6 comédiens pour décrire un monde d'hommes. Les femmes n'y sont que des génitrices. Celle qui a des velléités d'être autre chose, tiens pourquoi pas membre du conseil d’administration tant qu'on y est, ne fait pas long feu. 6 comédiens qui font vivre tous les hommes (et les femmes) importants de cette saga.
Le décor évolue pour passer avec facilité et fluidité du comptoir de débarquement d'Ellis Island à la modeste boutique de l'Alabama dont la clanche de la porte ne tient pas pour se terminer dans l'environnement cossu du bureau du conseil d'administration. Simple. efficace.
En bref : une saga familiale qui traverse avec brio deux siècles de l'histoire des Etats-Unis. Bâtie comme un thriller économique l'écriture y est intelligente, la mise en scène brillante, les comédiens éclatants. Une leçon d'histoire à montrer dans tous les lycées. Malgré une troisième partie qui manque d'acidité, une reprise à ne pas manquer.
C'EST OU ? C'EST QUAND ?
2bis avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris
du 11 au 29 mai 2016
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