samedi 16 mai 2015

HENRY VI

UNE BELLE AVENTURE THÉÂTRALE ET HUMAINE
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Attention, ceci risque d'être l'article le plus long jamais écrit sur ce blog

SPECTACLE HORS NORMES

Avignon, Programme du IN 2014. Un spectacle hors normes : 18H en continu. HENRY VI. Cette oeuvre de Shakespeare Jamais présentée en intégralité en France, c'est un jeune metteur en scène qui s'est lancé le défi de la monter : Thomas JOLLY. Les photos donnent envie mais 5 jours seulement à passer à Avignon et difficile pour moi d'en consacrer deux à un seul spectacle quand il y en a tant d'autres que je souhaite voir. Alors je compte sur la tournée qui suivra pour me rattraper, d'autant que les commentaires des spectateurs du IN renforcent l'envie. 

Après une tournée à guichets fermés en France et un passage par Sceaux en décembre 2014, la PICCOLA FAMILIA a donc débarqué à l'Odéon (plus exactement aux Ateliers Berthier) en ce pluvieux week-end de fête du travail pour donner l'intégralité des deux cycles de cette aventure théâtrale. Les prévoyants ont pris leur place avec leur abonnement depuis plus d'un an. Les moins prévoyants (dont je suis) guettaient l'ouverture des ventes hors abonnement, et, frustrés de rester bredouille, écumaient twitter et les sites de revente sur internet à la recherche du sésame qui permettrait de participer à ce qui restera un événement de cette saison théâtrale. Il faut une certaine dose de folie et de passion pour monter un tel texte. Il en faut aussi pour décider de s'enfermer 18h dans un théâtre. Et si je commence cet article par le récit de cette attente c'est peut-être parce que pour beaucoup, comme pour moi, c'est la passion du théâtre qui nous a mener au bord du périphérique parisien un week-end entier pour assister à ce spectacle.

QUAND L'HISTOIRE EST UN ROMAN

Concentrés que nous sommes sur notre petit hexagone nous apprenons finalement peu de choses sur l'histoire de nos voisins. Pourtant, le Moyen Age et la Renaissance ont offert matière à écrire des scénarios épiques, comme en témoignent les succès des séries télé Les Borgias ou les Tudors, sans parler de la fiction "GOT" (Game of Thrones pour les non initiés dont je suis puisque je ne l'ai toujours pas vue). L'histoire de la monarchie britannique regorge d'épisodes romanesques. Perdu au milieu de rois conquérants HENRY VI est un roi à part. Pacifique et pieux, son tempérament fait qu'il ne supporte pas les querelles des maison d' YORK et de LANCASTRE, connu sous le nom de Guerre des deux-roses, ni les conflits entre l'Angleterre et la France et l'Irlande.

C'est l'histoire de ce roi mal à l'aise dans son époque, un roi qui ne veut pas choisir, qui nous est contée dans cette épopée théâtrale. Une histoire d'amour et de haine, de lutte de pouvoir, de passions. Un souffle épique que même le meilleur des écrivains ou des dramaturges n'aurait pu imaginer. Ne nous y trompons pas, c'est cette histoire de la royauté britannique et notamment la guerre des roses qui est une des sources d'inspiration de la série "Game of Thrones".

UNE EXPÉRIENCE UNIQUE

"Un spectacle de 18h, mais tu es dingue !". Avec "Tu as survécu à un spectacle de 18h?" : voilà les deux phrases les plus entendues quand on parle à quelqu'un qui n'a pas vu HENRI VI. Moi qui, il y n'y a pas si longtemps que cela, trouvait très bobo les spectacles de plus de 5h dans la cour du Palais des Papes, me retrouve à être l'une des plus ferventes défenseurs de ce spectacle hors norme. Car même s'il ne révolutionne pas le théâtre (et ce n'est pas l'intention de Thomas JOLLY), HENRY VI restera gravé dans la tête et le coeur de ceux qui l'auront vu et aimé. Pourtant, face à l'enthousiasme général certains restent en marge de l'aventure dans laquelle ils n'arrivent pas à plonger.

Car aller au théâtre c'est aussi confronter son ressenti à celui des autres spectateurs. Rarement un spectacle aura autant permis de nourrir ces échanges entre les spectateurs, de permettre à chacun d'exercer dans le feu de l'action et sous le coup de l'émotion (ou pas) son sens critique en l'exposant, en en discutant, en le mettant à l'épreuve de la contradiction, que ce soit dans la salle en attendant le lever de rideau, dans les couloirs ou les alentours du théâtre lors des entractes ou sur les réseaux sociaux. Sur twitter chaque représentation donne lieu à de nombreux échanges, enthousiastes ou critique. Thomas JOLLY lui-même entre en discussion avec ses spectateurs, répond à leurs tweets. Plus fort encore : les principaux personnages de la pièce ont leur compte twitter et communiquent avec les spectateurs avant, pendant et après le spectacle.

GÉNÉALOGIE ET SOCIÉTÉ EN MOUVEMENT

Dans HENRI VI l'intrique est loin d'être simple car elle est portée par de nombreux personnages ; 150 sur scène pour des apparitions plus ou moins longues. Des noms qui ne nous sont pas familiers, Une histoire qui n'est pas la nôtre. Une chronologie et une généalogie qui nous échappent. Il faut se replacer dans cette époque en pleins bouleversements : l'écriture, l'imprimerie, les voyages, la physionomie de la Terre et de l'Univers, autant de questionnement et de vérités nouvelles d'un monde en transition qui perd ses repères et doit s'en trouver de nouveau. L'adolescence d'un peuple : rébellion contre l'autorité et l'ordre établi, volonté de tuer le père, de séduire, d'inverser les rôles. Quelle transmission entre père et fils lorsque le premier meurt alors que le second n'a que quelques mois. Quelles valeurs défendre quand l'éducation se fait sous l'égide de deux personnages antagonistes, que les frontières sont toutes sur le point d'exploser, et que l'épouse imposée est plus lionne que le félin. Tiraillé de tous les côtés HENRI VI fera renaître la guerre des roses et plonger son peuple dans la guerre et l'insécurité.

UNE MISE EN SCÈNE DANS L'AIR DU TEMPS

La mise en scène de Thomas JOLLY est celle d'un talentueux dramaturge bien ancré dans son époque. Il s'est nourri de pop et de rock, de mangas, de cinéma fantastique, de jeux vidéo, de jeux de guerre et d'héroic fantaisy. Certains lui reprochent de faire avec HENRI VI un Game of Thrones théâtral. Ceux-là oublient que l'auteur de la série a reconnu s'être inspiré de Shakespeare et occultent tout ce que le spectacle vivant apporte d'émotion brute et spontanée.

Le jeune  metteur en scène Thomas JOLLY fait preuve d'un talent remarquable et d'une maîtrise étonnante des outils et des technologies pour créer un spectacle flamboyant. Cette épopée fourmille de créativité, d'inventivité. Chaque scène est l'occasion d'exploiter une multitude d'idées, petits ou grandes, et de créer des décors originaux qui relève d'un savant et astucieux bricolage (le bûcher de Jeanne d'Arc, la guillotine qui permet de passer de la France à l'Angleterre en quelques secondes), des lumières, des environnements sonores flamboyants (la scène d'entrée, la bataille de Saint Albans) . D'aucuns se plaignent de ces effets qui semblent empruntés à la télé. Mais le théâtre devrait-il se priver de toutes les ressources qui peuvent l'enrichir comme lui-même enrichit le cinéma et la télévision ? C'est dans l'ensemble de la culture des années 90 et 2000 qu'il faut aller chercher des références. Et surtout dans l'esprit et l'imaginaire fécond d'un jeune homme qui dit "j'ai 2500 ans de théâtre derrière moi, nous avons tous 2500 ans de théâtre derrière nous". Il y a sur scène une énergie qui s'auto-régénère et se nourrit de celle du public. 

Et puis il y a l'humour. Le spectacle démarre sur un rythme débridé, avec une mise en scène jouant sur différents registres : le deuxième degré, la dérision, le burlesque. Un ton décalé qui peut se permettre de prendre parfois quelques libertés avec le texte en introduisant un langage plus moderne. Ce n'est que pour mieux nous attirer, nous captiver, et nous emporter vers un texte parfois ardu.

LA TROUPE ET LA RHAPSODE

Dans cette épopée tourmentée tous les personnages ont des personnalités bien trempées. Les comédiens, entraînés comme des sportifs pour ce marathon et interpréter près de 150 personnages, sont d'une égale justesse. D'Henry VI (Thomas Germaine), jeune roi sous influence de ses oncles (Bruno Bayeux irrésistible Beaufort le Cardinal Winchester et Geoffrey Carey, très British Duc de Gloucester), l'espiègle Jeanne d'Arc (Flora Diguet), la rock star Jack Cade (Nathan Bernat), Charline Porrone, une Marguerite d'Anjou que l'on adore détester, celle qui porte la culotte, autoritaire avec son royal époux qu'elle mène par le bout du nez, et un Richard III (Thomas Jolly) dont le corps difforme aux allures de Peter Pan laisse éclater sa noirceur dans un final éblouissant.

Et que dire du travail sur les costumes : on retrouve toute l'imaginaire, l'inventivité, l'esprit pratique et de bricolage (pour passer facilement d'un personnage à l'autre en quelques minutes dans les coulisses). Les clans sont clairement identifiés par un détail du costume. Et quelle belle idée que ces rubans rouges et blancs. Un spectacle qui ne serait pas non plus possible sans l'immense travail des nombreux techniciens qui eux non plus ne ménagent pas leur peine pour que tout se fasse rapidement et avec fluidité.

La Rhapsode - Photo: Nicolas JoubardMais surtout quelle magnifique, lumineuse idée que la création du personnage de la Rhapsode interprétée par une majestueuse et rayonnante Manon Thorel. Faisant le lien entre la scène et les spectateurs, résumant "ce qui s'est passé dans l'épisode précédent", résumant les rares coupes assumées, relaçant l'intrigue après les pauses, occupant l'espace et temps pendant un changement de décor, ses apparitions ravissent le spectateur qui l'accueille à chaque fois plus chaleureusement. Les textes de Manon THOREL et sa diction sont un bonheur, de petites perles distillées avec délice et humour.

DU THÉÂTRE POPULAIRE DANS SA PLUS BELLE EXPRESSION

Faut-il reprocher au théâtre d'adopter les codes des jeunes générations ou faut-il se réjouir qu'ainsi il puisse attirer dans ses salles des classes d'âge qui préfèrent se réfugier dans le tout numérique ? Le Henry VI participe au débat d'une belle manière. Des nombreux échanges que génère le spectacle une large majorité, y compris parmi les puristes de Shakespeare, ne tari pas d'éloges. Et si certains semblent regretter une mise en scène trop sage le travail de Thomas JOLLY et de la Piccola Familia ne laisse pas indifférent.

Pour moi, l'une des grandes forces de ce spectacle est d'une part de rendre accessible à tous un texte par ailleurs ardu, (en témoigne l'enthousiasme des jeunes spectateurs), et d'autre part de séduire tous les publics. Combien auraient parié que nous serions si nombreux à venir, à chercher désespérément une place pour un spectacle de 18h ? Il est heureux que le Théâtre National de Bretagne, le Festival d'Avignon, Le Théâtre de l'Odéon et bien d'autres en France aient relevé le défi de produire et/ou de programmer cette formidable aventure.

En bref : Je n'a pas survécu à 18h de spectacle. J'ai vécu une aventure théâtrale et humaine comme j'aurai peu de chances d'en connaître d'autres. Une mise en scène inventive, rythmée, musclée, parfois déjantée, souvent romanesque. Une troupe  de comédiens tous aussi étonnants les uns que les autres. Et une rhapsode qu'il sera impossible d'oublier. Une épopée théâtrale qui réunit grand texte classique et théâtre populaire, et qui instaure une lien fort entre les spectateurs et chaque membre de la troupe. Une aventure à ne pas manquer. On en réclame encore et encore.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Théâtre de l'Odéon - Ateliers Berthier
Du 2 au 17 mai 2015 (cycles 1 & 2)

Opéra de Rouen Haute Normandie - Théâtre des Arts
L'intégrale le 20 juin 2015 à partir de 10 h




Crédit photo @Nicolas Joubard @Brigitte Enguerrand - Divergence / Photo salut final @LeThéâtreCôtéCoeur

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