dimanche 6 avril 2014

L'ILE DES ESCLAVES

UN MARIVAUX VIF ET JOYEUX

****



QUAND MAÎTRES ET ESCLAVES INVERSENT LES RÔLES

A la suite d'un naufrage Iphicrate et son esclave Arlequin échouent sur une île au large d'Athènes. Le maître prend peur en réalisant qu'ici les rapports de classe sont inversés et demande à Arlequin de le protéger. Ils sont bientôt rejoints par Euphrosine également sauvée des eaux avec son esclave Cléanthis. Trivline, le gouverneur des lieux, les accueille et leur explique que pendant quelques temps, à des fins thérapeutiques, maîtres et esclaves doivent échanger vêtements, statuts et noms.

Jouée en 1725 "L'île des esclaves" est le premier volet de la trilogie des utopies insulaires qui comprend également "L'île de la raison" et "La colonie".

UNE MISE EN SCÈNE ENLEVÉE

C'est à Benjamin JURGENS qu'a été confiée la mise en scène de cette comédie de MARIVAUX. Sur le plateau un drap beige jeté au sol évoque le sable de la plage sur laquelle échouent les rescapés, tandis que les pendrillons également beiges rappellent les voiles du navire perdu ou suggèrent une végétation. Le rythme est enlevé, dynamique

Dans cette pièce courte en un acte, MARIVAUX utilise l'un de ses thèmes fétiches, l'expérimentation par le travestissement pour dresser une satire de la société. Tant Arlequin que Cléantis ne se font pas prier pour dresser le portrait féroce de leurs maîtres et se libérer des frustrations engrangées tout au long des ces mois, ces années de service. Quand à leurs maîtres, s'ils tentent un temps de rejeter les accusations, ils semblent ensuite abattus à l'énoncé de la longue liste de leurs défauts et des excès de leur comportement

DES COMÉDIENS DANS LE TON

Jennifer DECKER est irrésistible lorsqu'elle décrit avec force détails, délice et gourmandise les travers de sa maîtresse. Elle est emportée dans son élan et son enthousiasme au point que Trivelin à toutes les peines du monde à l'arrêter. Face à la libération de la parole c'est l'air contrit que Catherine SAUVAL ne peut qu'acquiescer.

La mise en scène de Benjamin JURGENS fait éclater tout l'humour et l'ironie du texte de Marivaux. Jeremy LOPEZ est tout aussi hilarant que Jennifer DECKER, notamment dans la scène de la promenade dans laquelle ils singent la promenade des courtisans. Le petit espace scénique du Studio Théâtre renforce l'aspect artificiel de la relation.

Stephane VARUPENNE et Catherine SAUVAL se trouvent de fait plus en retrait, ratatinés, rejetés au fond de la scène, jouant tête basse dès lors que les ex-maîtres ont compris qu'il serait vain de vouloir aller à l'encontre des règles de l'île. Sous le contrôle de Trivolin (Nazim BOUDJENAH), seul maître du jeu, les maîtres vont se remettre en question. Le débit rapide de Nazim BOUDJENAH lorsqu'il énonce les lois et les règles du jeu renforce l'absurdité de cette procédure qui, si elle a un but louable, peut poser questionnement sur la manière dont elle est mise en oeuvre. 


Au travers de cette inversion des rôles chacun se remet en question et trouve dans le cette nouvelle position artificielle et forcée des émotions nouvelles, faisant ressortir toute l’ambiguïté des individus. Mais si au bout de la fable chacun reprend son rôle et si les maîtres promettent de modifier leur comportement, peut-on vraiment leur faire confiance ?


En bref : une mise en scène très enlevée et des comédiens énergiques et justes qui font ressortir tout l'humour et toute l’ambiguïté du texte de MARIVAUX. Un très beau moment de théâtre.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Du  mars au  Avril
Galerie du Carrousel du Louvre
Place de la pyramide inversée
99 Rue de Rivoli 75001 PARIS

1 commentaire: