lundi 23 décembre 2013

QUI ES-TU FRITZ HABER ?

SCÈNE DE MÉNAGE CHEZ UN PRIX NOBEL

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RÉFLEXIONS MÉTAPHYSIQUES ET NAISSANCE DES ARMES CHIMIQUES

En 1915, au soir de la 1ère utilisation de gaz chlorés, une violente dispute éclate entre Fritz et Clara HABER. Les deux conjoints sont tous les deux chimistes, allemands et juifs convertis au christianisme. Cet échange met en lumière leurs multiples désaccords sur la religion, la science et la vie, jusqu'à la tragédie. Ce dialogue imaginé par l'auteur entre les deux personnages qui ont réellement existé il y a 100 ans, pose en filigrane des questions toujours d'actualité : peut-on faire de la science une religion ? La science remet-elle en cause l'idée même de dieu ? Qu'est-ce que la vérité scientifique ? Un scientifique peut-il s'affranchir de toute considération morale ? Le progrès scientifique est-il toujours un progrès pour l'humanité ?

Source : leslarrons.com

SUCCÈS DU FESTIVAL OFF 2013

Programmé dans le Festival Off Avignon 2013 au théâtre LA LUNA, j'avais inscrit cette pièce dans ma sélection mais n'avait pu aller la voir. La critique et les échos du public étant favorables, comme j'avais pu le constater sur les panneaux du Village du Off, j'étais heureuse que sa programmation au Poche Montparnasse m'offre la possibilité de juger par moi-même. 


Mais au-delà de l'influence de la critique c'est le sujet qui m'a tout d'abord attiré dans ma sélection  faite avant le début du Off. Je dois malheureusement dire que je suis sortie un peu déçueIl y avait matière à une joute de haut vol sur des thématiques abordées : le rôle de la science et du progrès  dans le bien être de l’humanité et de l'individu, l'éthique du scientifique, le rapport que la science peut entretenir avec la religion. Pendant une grande partie de la pièce il y a un vrai équilibre entre les arguments et contre-arguments mis en avant par Fritz et par Clara. Mais à un moment le personnage de Clara tombe dans le pathétique et le soufflé retombe.

L'OPPOSITION DE DEUX POINTS DE VUE INCOMPATIBLES

Fritz HABER a reçu le prix Nobel de Chimie en 1918 pour ses travaux sur la synthèse de l'ammoniac, travaux d'une importance primordiale pour la fabrication des engrais mais aussi des explosifs. Grace à ses découvertes l'arrivée d'engrais azotés bons marché a permis d'éviter une catastrophe malthusienne (source wikipédia). Ses recherches sur les pesticides permirent aussi la mise au point du procédé permettant la fabrication industrielle du Zyklon B, le produit qui sera utilisé dans les chambres à gaz.

Description de cette image, également commentée ci-aprèsCe que Clara reprochait à Fritz HABER n'était pas seulement la nature des ses travaux, qu'elle jugeait criminels et contraires à l'éthique scientifique, mais également toute l'étendue de son implication au sein de l'armée. Mue par des principes humanitaires Clara HABER avait néanmoins toute légitimité pour juger de la qualité scientifique des travaux de son mari. Elle fut en effet la première femme diplômée d'un doctorat de chimie de l'université de Breslau. Les conventions de la société la cantonnèrent à un rôle subalterne aux côtés de son mari.


Fritz HABER avait changé son nom, le germanisant pour mieux intégrer la société scientifique allemande. Il estimait qu'en temps de guerre le scientifique se met au service de la défense des intérêts suprêmes de son pays. Les points de divergences étaient nombreux entre eux deux. Le couple avait été unis par le même amour de la sciences. Face à l'obstination de Fritz il semble que Clara ait baissé les bras. On sait peu de choses de sa vie, et son suicide quelques jours après la première utilisation du gaz sur le front reste sujet à interprétation. Le lendemain de la mort de sa femme Fritz HABER reparti sur le front pour faire de nouveaux essais et améliorer l'impact de son arme chimique, laissant son fils de 13 ans se débrouiller avec seul l'enterrement de sa mère morte dans ses bras. 

UNE BANALE SCÈNE DE MÉNAGE

Si ces divergences d'opinion sont bien montrées dans la pièce de Claude COHEN, le parti pris quand au motif du suicide de Clara nuit au propos, de mon point de vue. La folie de Clara arrive d'une manière brutale et sans cohérence. En mettant en avant la jalousie de Clara vis-à-vis de la jeune assistante et d'une éventuelle aventure entre cette jeune femme (présente lors du dîner qui vient de se terminer) et Fritz, l'auteur fait perdre toute crédibilité au discours de Clara. Elle tombe alors dans le cliché de l'épouse bafouée au point que je me suis demandée si sa colère du début, qui lance le débat, est motivé par la responsabilité de Fritz dans l'utilisation par les militaires de ses découvertes scientifiques ou parce qu'elle n'a pas supporté la présence de cette rivale à sa table. Je précise que ce sentiments et cette déception était partagés par les deux personnes qui m'accompagnaient. Certes Fritz épousa ensuite cette femme, mais la manière dont l'auteur l'a introduit dans la pièce et le jeu d'Isabelle ANDREANI à ce moment mettent à mon sens trop l'accent sur ce fait occultant tout ce qui faisait le vrai combat de Clara HABER d'après ce que j'ai pu lire après avoir vu la pièce. Ce combat justifie que plusieurs prix scientifiques prestigieux portent aujourd'hui le nom de Clara HABER.


C'est d'autant plus décevant qu'il y a par ailleurs de nombreuses raisons pour justifier des bonnes critiques reçues par cette pièce. Le décor restitue à merveille l'intérieur d'un appartement des années 1930. L'espace de la petite salle du Poche Monparnasse est optimisé et la mise en lumière crée l'ambiance intimiste nécessaire tout en mettant un juste degré de dramatisation à des moments clés. La mise en scène reste sobre. Le jeu de Xavier LEMAIRE est équilibré avec juste ce qu'il faut de machisme, de force mais aussi de doute lorsque les arguments de Clara sont sur le point de le déstabiliser. Il s'est glissé avec réussite dans la peau de ce personnage qui est décrit comme un homme imposant par sa stature et son intelligence, mais aussi comme un chercheur sans scrupule, animé d'une ambition démesurée qui ne semble avoir jamais eut aucun remords sur son action et faisait preuve d'une certaine absence d'humanité. Par contre le jeu d'Isabelle ANDREANI s'il est très juste sur la première partie de la pièce, glisse parfois dans le surjoué et le pathétique ce qui m'a fait perdre au final l'élan de sympathie que j'avais pour le personnage de Clara.

Bien que n'ayant pas (encore) revu "Les palmes de M. Schultz" (actuellement à l'affiche au Théâtre Michel et dont je garde un souvenir peut-être enjolivé par le temps qui est passé), je n'ai pas pu m'empêcher de faire le parallèle avec le couple Pierre et Marie Curie.

En conclusion, Je m'attendais à voir un débat de haut niveau entre deux scientifiques. L'orientation pris par la pièce dans la dernière demi-heure (environ) m'a laissé avec la sensation finale d'avoir assisté à une scène de ménage presque banale au sein d'un couple qui a pourtant changé l'avenir de l'homme.

Dommage !

En Bref : Une légère déception pour ce qui reste une belle mise en lumière d'un grand débat sur la place de la science et des scientifiques dans l'Histoire

C'EST OU ? C'EST QUAND ?

Reprise
Studio Hébertot
Du 23 novembre 2016 au 6 janvier 2017
du mardi au samedi 19h - dimanche 15h 

Crédit photo @ Lot
Mise à jour du 20/06/15//
Vu Décembre  - Poche Montparnasse 

2 commentaires:

  1. dommage!
    une pièce que j'avais bcp aimée à Avignon!
    Je découvre ce blog avec cet article, et cette passion partagée du théâtre, je reviendrais!

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    1. Merci Eimelle. J'ai également découvert votre blog. Je vois que nous avons d'autres goûts en commun, comme la passion pour le chocolat. J'y reviendrai aussi.

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