lundi 11 octobre 2021

LES DEMONS

DISPOSITIF DEMONIAQUE


Quel pari que de monter "Les démons" de Fiodor Dostoïevski, plus connu en France sous le titre "Les possédés". Albert Camus s'y était frotté en 1959 et plus récemment Sylvain Creuzevault en 2018 à l'Odéon. Un texte complexe et foisonnant, peuplé d'une foultitude de personnages. Guy Cassiers en donne une version très sophistiquée qui ne manque pas de belles images.

La scénographie de Tim Van Steenbergen couplée à la mise en scène de Guy Cassiers est déroutante. Sur scène 3 écrans suspendus. Dans le très beau décor d'époque les comédiens évoluent sans communiquer directement. Filmés par 3 caméras (une en fond de scène à jardin, une en avant-scène également à jardin, la troisième au milieu à cour) c'est l'ordonnancement de la projection sur les écrans qui fait le lien entre les comédiens. Ainsi, alors qu'ils se tournent le dos sur scène, ils se font face à l'écran ou bien alors qu'ils semblent s'éloigner, à l'écran ils vont dans la même direction. Parfois des élèves de l'Académie servent de main ou de bras pour faire le lien entre les personnages sur les écrans. Dommage que la mise en scène abuse un peu du procédé. Pour ne pas être perdu le spectateur n'a pas d'autre choix que de délaisser la scène pour se concentrer sur les écrans. Est-ce toujours du théâtre se demanderont certain ? C'est en tout cas une vision perturbante qui, personnellement, m'a perdue par la distanciation que cela crée entre les comédiens et le public, comme un cinquième mur. Si l'esthétique et la recherche de mise en scène font leur effet, cela est au détriment de l'émotion pour le spectateur qui regarde un film plus qu'il ne voit incarnés les personnages de Dostoïevski.

Au-delà de ce dispositif qui occupe les 4/5e du spectacle, la troupe du Français, merveilleuse troupe on ne le dira jamais assez, réalise une prestation remarquable. On imagine aisément toute la difficulté de jeu que le dispositif scénique représente pour chacun, cantonné à jouer dans une zone étroite en largeur, sans lire directement sur le visage ou la gestuelle de son partenaire l'effet du texte ou de l'action. Mais c'est sans compter avec le talent de chacun d'eux. Dans ce récit de bascule d'une époque, la jeunesse remet en cause, par le verbe et par le geste, les enseignements et le monde des anciens. Parmi eux, citons Hervé Pierre (Stéphane Trofimovitch Verkhovenski) mène avec brio et bonhommie le groupe des anciens, et forme un solide duo avec Dominique Blanc (Varvara Stavroguina), son amie et mécène. Du côté des jeunes Christophe Montenez n'en finit pas de séduire par son talent qui à nouveau éclate dans le rôle de Nikolaï, le mélancolique héros malgré lui qui traîne avec lui ses démons intérieurs. Claïna Clavaron est la révélation de ce spectacle. Elle incarne Dacha la fille adoptive de Varvara, avec une vivacité et une luminosité remarquable.


Le reste de la distribution est toujours aussi juste, que ce soit Jennifer Decker, la jeune intellectuelle séduite par Nicolaï dont la mort est une des belles images de cette mise en scène, Suliane Brahim (Maria), mystique et fortement perturbée, ou encore Jerémy Lopez (Piotr) et Stéphane Varupenne (Chatov), deux visages de la révolution dans la violence.

Mention particulière pour la beauté des costumes créés par Tim Van Steenbergen assisté de Anna Rizza et la qualité des lumières de Fabiana Piccioli assistée de Fraonçois Thouret.

En bref : au-delà des réelles qualités de mise en scène, de scénographie et d'interprétation, le spectateur se trouve pris au piège de tant de sophistication dans le dispositif scénique. Restent quelques très belles images mais aussi la sensation d'être restée à côté du texte et d'avoir laissé passer ces démons sans bien les appréhender.

Les démons, d'après Fiodor Dostoïevski, traduction Marie Hooghe, adaptation Erwin Mortier, mise en scène Guy Cassiers, avec Alexandre Pavloff, Christian Gonon, Julie Sicard, Serge Bagdassarian, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Suliane Brahim, Jeremy Lopez, Christophe Montenez, Dominique Blanc, Jennifeer Decker, Clément Bresson, Claïna Clavaron, et les comédiennes et comédiens de l'académie de la Comédie Française Vianney Arcel, Robin Azéma, Jeremy Berthoud, Héloïse Cholley, Fanny Jouffroy, Emma Laristan.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?

Comédie Française - Salle Richelieu
1 Place Colette 75001 Paris
du 22 septembre 2021 au 1 janvier 2022

Crédit photo @Christophe Raynaud de Lage

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