VIVRE OU SURVIVRE
Après "Saïgon", Caroline Guiela Nguyen continue son exploration du temps qui passe et de son impact sur les souvenirs. Cette fois elle utilise la forme d'un conte fantastique pour parler du deuil.
Le fantastique et la science-fiction me semblent être difficiles à porter sur une scène de théâtre. Nous sommes dans un espace-temps indéterminé, où, lors d'une éclipse solaire qui a touché toute la planète, la moitié de la population a disparu, s'est volatilisée. Cette moitié n'est pas morte, elle a juste disparu de manière collective et instantanée. Ceux qui restent tentent de vivre ou de survivre, dans l'attente. Dans un "centre de soins et de consolation", un groupe de personnes d'origine, culture, religions diverses, d'âges variés, se retrouve pour partager leur douleur, leur difficulté à accepter ces disparitions, leurs espoirs de voir les disparus revenir, leurs angoisses devant leur rythme cardiaque qui se ralenti. Chacun va gérer ses émotions à sa manière.
Je l'avoue j'ai eu du mal à le me plonger dans le postulat qui sert de base à l'histoire, dans le fondement scientifique dont des incohérences trop grandes pour mon esprit cartésien ont un peu gâché mon plaisir. De fait le message de Caroline Guiela Nguyen m'a paru confus.
Au-delà de cette réserve partielle sur le texte cette création marque par la remarquable interprétation d'une troupe de comédiens au jeu d'un naturel exceptionnel. Professionnels ou amateurs ils incarnent leur personnage avec une justesse de ton en tout instant. On est en totale empathie avec ce père arabe (Saadi Bahri), un peu ours, qui chérit avec tendresse le souvenir de sa femme, on souffre avec ce père (Dan Artus) si désemparé par la disparition de sa femme qu'il ne peut plus s'occuper de sa petite fille qu'il aime tant, on a envie de prendre dans ses bras cette mère vietnamienne (Anh Tran Nghia) qui voit dans la nourriture un médium pour partager et soutenir. Chacun est remarquable. Il est injuste de ne pas tous les citer. Il y a Sarah (Mahia Zrouki) et sa colère permanente qui éclate dans un slam magnifique (comme j'aimerais avoir ce texte !). Il y a Rachel (Hoonaz Ghojallu), agaçante de froideur, qui se réfugie dans le protocole scientifique pour ne pas se laisser emporter pas ses propres émotions. Il y a la fabuleuse et enchanteresse voix lyrique d'Alix Petris dont les apparitions marquent des moments d'intense émotion et qui habille si joliment cette atmosphère de fraternité. Et puis il y a Ismène (Boutaïna El Fekkak), la mère meurtrie, l'interprète, le socle de cette fraternité qui trouve dans son rôle central dans ce centre la force pour tenir debout, et qui nous offre une interprétation d'une grande richesse, concentré de cette universalité, de cette communion des âmes, des êtres, des cultures, des religions qui s'effacent pour faire place à un élan de spiritualité universelle.Malgré quelques maladresses ce "Fraternité" nous interroge sur notre relation à la disparition d'un être cher, sur l'importance que nous donnons à nos souvenirs, comment ils interagissent dans notre vie, dans nos émotions. Il nous questionne sur notre capacité à garder espoir, à rebondir, à vivre ou à survivre.
En bref : malgré quelques petites imperfections, un spectacle qui marque par la magie de l'interprétation collective et individuelle, par l'universalité de son propos, par la justesse des émotions et le questionnement qu'il propose.
Fraternité, conte fantastique, écrit et mis en scène par Caroline Guiela Nguyen, avec Dan Arthus, Saadi Bahri, Boutaïna El Fekkak, Hoonas Ghojallu, Maïmouna Keita, Nanii, Elios Noël, Alix petris, Saaphyra, Vasanth Selvam, Anh Tran Nghia, Hiep Tran Nghia, Mahia Zrouki
C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Crédit photo @Christophe Raynaud DeLage / Jean-Louis Fernandez
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