UN FROID SAISISSANT
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S'il fut l'un des premier écrivains américains à faire fortune grâce à sa plume Jack London était aussi un aventurier. Il a nourri son oeuvre de ses lectures mais aussi de sa vie, longtemps passée dans la misère, et de ses voyages. Comme ses personnages il a notamment tenté de faire fortune avec la ruée vers l'or, et c'est peut-être dans les saloons du Klondike qu'il a trouvé l'inspiration pour écrire "Construire un feu". Pour la Comédie Française Marc Lainé adapte cette nouvelle en s'appuyant sur trois comédiens. Une adaptation réussie qui nous emporte dans le froid polaire sur les traces de ces aventuriers de l'extrême.
L'ENFER BLANC DU KLONDIKE
Jack London publia 2 version de "Construire un feu", la première en 1902, la seconde en 1908. C'est cette dernière que Marc Lainé a choisi d'adapter à la scène. Un choix fait alors qu'il finissait "Vanishing point" un autre voyage dans le grand nord canadien. De ce texte au fort pouvoir cinématographique il tire un spectacle avec 3 comédiens, quelques caméras et deux maquettes. Sur la petite scène du Studio théâtre le blanc règne au sol et sur les panneaux du décor. 3 ou 4 sapins dans un angle en fond de scène, deux plateaux avec des maquettes de paysage tout aussi blanc. Un blanc immaculé, froid comme un laboratoire ou une salle de film de science-fiction (cf THX 1138). Un blanc si immobile que même le temps semble s'être arrêté.
Un homme (Nazim Boudjenah), emmitouflé dans de lourd vêtements, marche dans ce paysage immaculé. Il a pour seul compagnon un chien avec lequel il entretient une relation distante. Il n'y a pas de place pour les sentiments dans ce paysage. Le froid n'a jamais été aussi mordant. L'homme avance prudemment, connaissant les dangers de ce sol gelé. Il n'a pas écouté les vieux qui disent "qu'au-delà de cinquante degrés sous zéro on ne doit point voyage seul". Le froid lui a gelé la mâchoire. Plus que quelques heures de marche et il aura rejoint le campement. Mais la rivière gelée l'a piégé. La glace a craqué, ses jambes sont mouillées. Par -60° il faut vite faire sécher les chaussettes et réchauffer les pieds. Vite il faut construire un feu. Mais le froid est si intense que les doigts gèlent dès que l'homme ôte ses moufles. Les efforts de l'homme seront vains. Il n'atteindra jamais le campement. Le chien qui lui faisait confiance pour construire un feu l'abandonnera lorsqu'il sentira l'odeur de la mort, et partira en quête d'un autre maître du feu.
PUISSANCE DES VOIX ET DU TEXTE
Marc Lainé a choisi de raconter l'histoire par le biais de trois voix. Il y a d'abord celle du narrateur (Pierre-Louis Calixte). Souvent armé d'une caméra il filme au plus près l'homme. La deuxième est celle du chien, le compagnon d'infortune. Il ne voit en l'homme que le maître du feu, celui qui pourra faire naître un peu de chaleur. Il le craint. Animal du nord il sent le danger, ne prendrait pas de risque avec la nature s'il n'y avait l'homme. Jean et cheveux longs Alexandre Pavloff est cette voix de l'instinct et de la crainte. Il donne au point de vue de l'animal une force et une présence étonnantes.
Et puis il il y a le point de vue de l'homme. On l'entend peu, sauf à la fin. Filmé au plus près pendant la totalité du spectacle Nâzim Boudjenah est emmitouflé dans la fourrure. Seul son visage dépasse un peu. Le regard déterminé, angoissé, apaisé. Le geste précis. On frisonne avec lui. On sent le froid qui mord ses doigts, ses joues, ses lèvres. On partage son calvaire, ses doutes, ses espoirs, sa souffrance. On lui pardonne d'avoir été imprudent, d'avoir cru qu'il pourrait être plus fort que la nature. Si la caméra qui filme et projette en live les images de l'homme sur les écrans blancs pourrait fait penser à un documentaire la force de ces trois voix et la présence scénique font de Construire un feu un émouvant témoignage de l'enfer du froid du Grand Nord.
En bref : trois voix, trois présences pour une adaptation très forte d'un texte à la forte puissance d'évocation. Marc Lainé en mêlant performance scénique et vidéo en live nous plonge avec émotion dans le destin tragique de ces chercheurs d'or prêts à braver la nature la plus dure pour sortir de la misère. Même si au bout du compte la nature a toujours raison.
Construire un feu, d'après la nouvelle de Jack London, conçu et mis en scène par Marc Lainé, avec Pierre-Louis Calixte, Alexandre Pavloff, Nâzim Boudjenah.
C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Studio Théâtre de la Comédie Française
99 Rue de Rivoli - Galerie du Carrousel du Louvre 75001 Paris
Du 15 septembre au 21 octobre 2018
du mercredi au dimanche - 18h30
Crédit photo @Vincent Pontet
Vu octobre 2018 - Studio Théâtre de la Comédie Française
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