samedi 1 octobre 2016

ANTOINE ET CLEOPATRE

UN ENVOÛTANT POÈME
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Le Festival d'Avignon 2015 s'était enthousiasmé pour cette version d'ANTOINE ET CLEOPATRE par Tiago RODRIGUES. 1h15 pour transcrire non pas le texte de Shakespeare, mais l'esprit du drame qu'il présente, cette passion entre la belle Reine d'Egypte et général romain, potentiel successeur de César. Une création originale qui ne renie pas ses sources d'inspiration tant au théâtre qu'au cinéma. Alors qu'il était en Portugais lors des représentations à Avignon, c'est une version française qui est présentée au Théâtre de la Bastille dans le cadre du Festival d'Automne 2016.

POÈME CHORÉGRAPHIQUE

Les amants du Nil donnèrent à Shakespeare la matière à un drame passionnel. Hollywood s'en emparé à plusieurs reprises, notamment pour le mythique film de Mankiewicz dont la musique composée par Alex NORTH nous accueille lorsque nous entrons dans la salle du Théâtre de la Bastille. Une ambiance de péplum avec ses accents grandiloquents qui contrastent avec la scénographie d'Angela Rocha : une longue bande de tissu qui descend en fond de scène avant de revenir sur le devant, un mobile avec 4 sphères bleues et jaunes, un banc avec une platine disque et la pochette du Cléopâtre de 1963.

Sur scène deux comédiens pour dire le texte et le danser, comme un long poème envoûtant dit sur un pas de deux. Un texte original dans tous les sens du terme. Ceux qui s'attendent à entendre Shakespeare seront déçus ou surpris. Peut-on imaginer Antoine sans Cléopâtre ? Cléopâtre sans Antoine ? Elle voulait le séduire pour asseoir son pouvoir sur l'Egypte malgré Rome. Il voulait faire d'elle une alliée politique pour contrer ses adversaires suite à l'assassinat de Jules César. Ils tombèrent amoureux. Un amour embelli, magnifié, transcendé par les fictions auxquelles leur histoire donna naissance, devenant un mythe comme Abélard et Héloïse, Roméo et Juliette, Richard Burton et Elisabeth Taylor.

Tiago RODRIGUES s'inspire du texte de SHAKESPEARE et  pour en faire une matière mouvante, un mouvement rythmé et envoûtant, une musique, comme une mélopée obsessionnelle. Sofia DIAS et Vitor RORIZ ne jouent pas Antoine et Cléopâtre. Ils ne sont ni l'un ni l'autre et sont l'un et l'autre. Antoine voit l'avenir dans les yeux de Cléopâtre. Cléopâtre voit l'avenir dans les yeux d'Antoine. Ils se répondent, s'écoutent, de mélangent, se séparent, se retrouvent comme deux aimants. Dans un mouvement de marionnettistes ils s'attirent, s'entremêlent, se défont.  Dit en français avec une pointe d'accent, avec parfois des hésitations légères qui évoquent la fragilité de l'avenir de ces amants terribles, ce chant chorégraphié est comme un songe, un rêve éveillé.


CONTRASTES, FUSION ET CONFUSION

Dans leur échange se sont l'Orient et l'Occident qui s'affrontent, l'homme et la femme qui se cherchent, la passion qui l'emporte sur la raison, l'individu qui résiste au politique. Constamment sur la tangente ils s'opposent et se complètent. Antoine inspire, Cléopâtre inspire. Antoine expire, Cléopâtre expire. Et ce chant qui n'est pas descriptif, dit à la première personne, est l'expression de la communion de ces deux esprits, jusqu'à la confusion des paroles et des personnages.

La scénographie participe à cette mouvance, cette instabilité de la relation et de sa représentation: le mobile qui tangue, mu par sa propre énergie, qui se transforme, se dédouble, se multiplie, se fait parfois fragile sous les éclairages de Numo Meira. Le tout crée un univers indescriptible, comme une fenêtre sur une autre dimension, entre passé, présent et futur, entre réalité et imaginaire, un temps suspendu. Une écriture qui semble se construire au fur et à mesure comme dans cette incroyable itération en face à face. Un style fin, ciselé, poétique, hypnotique, comme le jeu des comédiens / danseurs qui atteint le paroxysme de l'émotion lors de la mort des protagonistes.

En bref : Un spectacle d'une beauté rare. Le drame romantique et politique de Shakespeare transcendé par une mise en scène qui magnifie le verbe. Un poème chorégraphié qui sublime les passions. Un théâtre inventif d'une incroyable force

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
76 Rue de la Roquette 75011 Paris
Du 14 septembre au 8 octobre 2016

Crédit photo ®Magda Bizarro

Vu Septembre 2016 - Théâtre de la Bastille

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