lundi 14 mars 2016

LES LIAISONS DANGEREUSES

MONSTRUEUSEMENT JOUISSIF
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LIBERTINAGE

Le roman épistolaire de Choderlos de Laclos était tombé dans l'oubli au XIXe siècle avant de reparaître au début du XXe. Ce chef-d'oeuvre de la littérature a depuis fait l'objet de plusieurs adaptations tant au cinéma qu'au théâtre et la mise en scène de Christine LETAILLEUR avec Dominique BLANC et Vincent PEREZ était une des grandes attentes de la saison 2015/2016. D'autant qu'il s'agit de l'adaptation d'une version théâtrale méconnue de l'auteur. 


Le spectateur est le témoin des échanges de correspondance entre la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, deux libertins qui se jouent de la société pudibonde dans laquelle ils évoluent avec aisance. Lui est libre, séducteur et ne s'en cache pas. Après tout, c'est un homme. Elle est riche et veuve. En tant que femme elle doit cacher son jeu. Leur relation est dominée par la rivalité et la jalousie. Elle lui lance un défi dont elle sera le prix s'il arrive à le relever. Entre eux deux toute une société privilégiée, constituée de victime ou de marionnettes que les deux libertins manipulent avec gourmandise. 


FÉMINISME

La mise en scène de Christine LETAILLEUR présente une lecture féministe de l'oeuvre. Elle dépeint une Marquise de MERTEUIL qui refuse de se laisser dominer par les hommes, la société l'obligeant à faire preuve de duplicité et de tromperie pour exercer son pouvoir sur ses jeunes amants ou sur le vicomte. Elle met ainsi en oeuvre sa vengeance sur la gent masculine qu'elle hait et entend conserver son indépendance. Et si lui utilise ces mêmes armes c'est pour séduire et pour mieux perdre ses victimes, que ce soit la jeune et innocente Cécile ou la vertueuse Mme de TOURVEL. Pour lui ce ne sont que méthodes "normales"qui sont condamnées par la morale lorsque c'est une femme qui en use. 

Ce qui commence comme un jeu de double séduction se termine en un combat à mort entre deux volontés, chacun perdant dans ce combat ce qui lui tenait le plus à cœur, elle sa réputation, lui l'amour de celle dont il a causé la perte.

OMBRE ET LUMIÈRE

Dans un décor composé de 3 pans de murs laissant de multiples possibilités d'ouvertures sur deux niveaux, se transformant en salon, jardin, boudoir, loge d'opéra ou promenade pastorale, une large place est faite aux jeux d'ombre et de lumière. Tels les deux faces des deux libertins, les actions ou pensées des personnages sont dévoilés par des éclairages et des jeux de miroirs. Ainsi la multiplication des visages de la marquise ou l'ombre de Cécile qui tantôt en fait une frêle et fragile fillette tantôt une maîtresse femme dominant son amant réduit à la petitesse de son esprit par un contre-jour lapidaire.

Les costumes de Merteuil et Valmont dessinent également l’évolution des personnages. Sobres au départ ils se font sang et or sur la route de la conquête, tandis que les armes s'affûtent et se font de plus en plus fines, pour virer au brun et au gris dans la longue déchéance des combattants.

L'environnement sonore quasi inexistant ou tout du moins discret jusqu’à la fin. Pluie et vent de tempête se mélangent à la musique pour créer un climat angoissant qui va crescendo. L'étau se resserre sur ces deux monstres qui n'ont de respect pour personne et surtout pas pour eux-même. Au jeu du je t'aime moi non plus un seul gagnant : le temps qui passe et laisse ses traces dans les chairs et dans les cœurs, et dans les cimetières.

AMOUR A MORT

Dans ce jeu de dupes Dominique BLANC est une Marquise de Merteuil d'un machiavélisme plus redoutable que les Borgia et Franck Underwood réunis. Son jeu laisse éclater le tempérament de feu et la colère qui motivent les actions de la femme blessée à l'enfance volée, un cynisme, une froideur, une détermination redoutables. Autant de traits de caractère qui transparaissent dans ses gestes affirmés tels cette main toujours en hauteur pour ouvrir les portes, sa démarche assurée, sa diction d'une rare précision


Vincent PEREZ est un vicomte de Valmont délicieusement précieux, vaniteux avec des airs d'Arlequin pervers et malicieux. Sa démarche dansante, ses positions les pieds rentrés lui donnent une posture maladroite qui se fait enjôleur. Un poil agaçant et perturbant dans les premières scènes son jeu se évolue avec son personnage, se faisant plus acerbe, plus pervers.



Le reste de la distribution est très réussi. Fanny BLONDEAU est une Cécile niaise et capricieuse à la voix de crécelle qui se libère comme ses cheveux, devenant méprisante à souhait à l'encontre de Danceny (Manuel GARCIE-KILIAN). Ce dernier démontre également une belle palette de jeu est est très convaincant. Julie DUCHAUSSOY est une Mme de TOURVEL touchante, exprimant avec justesse les tourments de cette âme noble.




En bref :  Christine LETAILLEUR livre une adaptation remarquable même si elle pèche par moment par des baisses de rythme et qui gagnerait à être raccourcie. Dans une mise en scène globalement classique Dominique BLANC est une marquise de Merteuil livrant un combat féministe d'avant-garde contre un vicomte de Valmont luttant à armes inégales. Une interprétation juste qui laisse entendre le texte et un habillage d'ombres et de lumières qui sublime les sentiments. Un beau moment de théâtre.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?

2 Place du Chatelet 75004 Paris
Métro : Chatelet, Hotel de Ville
du 2 au 18 mars 2016

(Vu au Théâtre de Saint Quentin en Yvelines)

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