mardi 26 janvier 2016

JUDITH

JUSQU’OÙ VIVRE AVEC SES COMPROMISSIONS ?
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RETROUVAILLES RITUELLES

Isaac, David, Pierre, Joseph et Moïse on depuis 15 l'habitude de se retrouver une fois par un pour un repas entre amis. 15 années d'habitude qu'Isaac a décidé de chambouler en les conviant à la campagne alors que ce n'était pas son tour de recevoir. Nous sommes en 1960. Les retrouvailles se déroulent selon le rituel habituel. Seul Isaac ne semble pas à l'aise, mais ses amis ne le remarquent pas, l'ambiance étant à la détente.

Lorsque le groupe a fini son évocation de la vie professionnelle et amoureuse des uns et des autres, que les plaisanteries traditionnelles ont été faites, l'ambiance se fait un peu plus lourde. Revient alors l'origine de leur amitié. Il y a 15 ans, en 1945, ils étaient compagnons d'infortune dans le même baraquement d'un camp de concentration. Ils s'en sont sortis. Et pourtant pendant toutes ces années, à aucun moment lors de ces retrouvailles annuelles ils n'ont évoqué ces mois d'horreur. "Le groupe c'est le punching-ball, le défouloir" dit Joseph. Celui où ils se vident de leurs frustrations familiales, mais jamais des sentiments refoulés de ces mois de captivité.

Mais ce soir Isaac leur a réservé une surprise. Et tout au long de la soirée ces hommes qui croient si bien se connaître, qui se disent solidaires envers et contre tous, vont découvrir que les ombres du passé n'ont jamais cessé de planer au-dessus d'eux, que les souvenirs enfouis aux tréfonds de leur âme ne les ont jamais laissés en paix, et que l'on finit toujours par payer ses dettes.

UN SCÉNARIO BÂTI COMME UN THRILLER

Si l'intrigue met du temps à se mettre en place la pièce se déroule comme un thriller. L'ensemble du texte gagnerait à être resserré, notamment la première partie jusqu'à la fin du dîner, et à éviter des effets de répétitions sur les états d'âme et interrogations collectives sur le pourquoi de leurs liens. Mais abstraction faite de ces petites imperfections il reste une histoire d'amitié et une intrigue qui se déroule comme une pelote, chaque fil dénoué livrant son lot de suspens, de surprise, de questionnement et de réponse. 

Qui était Judith ? Pourquoi l'évocation de son souvenir les met-il mal à l'aise ? Pourquoi et comment se sont-ils retrouvés dans ce camp 15 ans plus tôt ? Qu'est-ce que leur vie d'aujourd'hui cache de leurs tourments du passé ? Quelles personnalités se cachent réellement derrière ces faux-semblants ? Ont-ils toujours été sincères les uns vis-à-vis des autres ?

Autant de questions auxquels cette soirée va tenter de répondre. Les petites ou grandes lâchetés seront mises à jour. Les motivations profondes, conscientes ou non, de ce qu'ils ont fait de ces 15 années perceront, libéreront des sentiments enfouis depuis si longtemps.

"Il y a dans cette pièce ce que l'humanité a de contradictoire, en faisant cohabiter le sublime avec l'abject jusqu'à parfois les mélanger. Ces dualités font partie de ce que nous sommes, bien que nous ne le comprenions pas toujours". Ainsi Cédric LAVIE, auteur et metteur en scène, présente-t-il sa création dans la note d'intention. Et on ne saurait mieux résumer JUDITH. 

Si la question de la Shoah est présente Cedric LAVIE nous amène à nous interroger sur la banalisation du mal, sur les responsabilités de chacun.  Comment les situations exceptionnelles peuvent-elles transformer l'individu moyen en un bourreau amoral. Comment résister à la tentation de la vengeance ? Comment vivre avec ses compromissions ? 

UNE INTERPRÉTATION PROFONDE

Cette aventure théâtrale réunit des passionnés. Autour du jeune auteur ce sont des magnifiques comédiens qui portent le texte. Michel ALBERTINI est un Isaac ténébreux, concentré, torturé par le souvenir de Judith. Nikolaï ARUTENE est Joseph,  le médecin qui donne la vie, sérieux, un brin moralisateur. Yves PENAY dans le rôle de David est le play-boy de la bande. Il est aussi celui qui est le plus prompt à porter des accusations envers les autres, le plus enclin à mettre en cause ses amis et leurs compromis inacceptables. Laurent SAO est Pierre, le seul non-juif de cette fraternité. Quand à Philippe PIERRARD il interprète avec le rôle de Moïse un rabbin plus vrai que nature, tout en bonhomie et philosophie. Face à Isaac et sa quête de vérité, son besoin de savoir et de vengeance, il oppose la sérénité ce celui qui a trouvé dans la foi la force d'accepter, grâce à la religion qui permet de "comprendre le monde d'aujourd'hui avec ce que l'on sait du monde d'hier". Une mention spéciale pour Jan Oliver SCHROEDER qui est Fritz (ne pouvait-on choisir un autre prénom ?) à qui est allée ma compassion pour les postures inconfortables que lui a réservé la mise en scène.

En bref : une histoire d'amitié profonde, une quête de vérité, le besoin de savoir pour comprendre et peut-être pardonner. Une plongée aux plus profond de l'humanité et des tourments de l'âme. Une pièce humaniste en forme de thriller et une belle interprétation. 

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Théâtre du Petit Gymnase
38 Boulevard de Bonne Nouvelle 75010 Paris
du 1er octobre 2017 au 1er janvier 2018


Vu Théâtre Aydar
Janvier 2016

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