UNE LUCRÈCE ROCK ET MODERNE
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SULFUREUSE LUCRÈCE
"Les Borgias" ! Quel autre nom de famille est chargé de tant de haine, de sang, de crime, de luxure, de richesse, de fantasmes ? Dans la famille Borgia, je demande le père, Rodrigo, l'espagnol devenu le Pape Alexandre VI, celui qui est dépeint comme ayant bafoué un à un tous les commandements d'une religion qu'il était censé servir et régnait en tyran sur une Rome cernée de toutes parts par des micro-souverains assoiffés de pouvoir. Je demande la mère, Donna Vannozza Cattanei, courtisane qui donna au Pape Alexandre VI trois fils et une fille (on oubliera ici le troisième fils). Je demande le second fils, Juan, ambitieux qui eut le mauvais goût d'aimer la même femme que son frère aîné et le paya de sa vie. Je demande le fils aîné, Césare, le sanguinaire, le politique, le bras armé de la famille, celui cité par Machiavel dans "Le Prince" et qui inspira également les créateurs du jeu vidéo Assassin's Creed. Et pour finir je demande la fille, Lucrezia. Fut-elle l'ogresse empoisonneuse, l'incestueuse et sulfureuse mante religieuse que beaucoup ont décrit ou bien une femme forte mais innocente qui bénéficie de circonstances atténuantes compte tenu de son entourage familial, lequel l'a pervertie, et de la difficulté d'être une femme de caractère dans un monde dominé par les hommes ?
UNE MÈRE EN QUÊTE DE PARDON
Victor HUGO a choisi de dépeindre une LUCRÈCE en quête de repentir. Mariée à Don Alfonse d'ESTE, son 4ème époux, elle quitte la terre ducale pour Venise où l'ambiance du carnaval lui permet d'observer et d'approcher le jeune GENARO. Capitaine d'une compagnie aux ordres de Venise, entouré des ses amis dont MAFFIO, son frère d'arme dont un mage leur a prédit qu'ils mourront le même jour. Lui l'enfant au parents inconnus, le soldat de fortune, profite de la vie et des avantages de sa position de soldat tout en cherchant à retrouver sa mère qui certes l'a abandonné à la naissance mais qui depuis 16 ans lui adresse une lettre chaque mois. Quand LUCRÈCE se montre à visage découvert devant GENARO Don ALFONSE qui les observe les croit amants. Et quand plus tard le jeune GENARO souille l'image et le nom de LUCRÈCE quelle sera la punition pour cet outrage ? Entre le fils abandonné mais qui ne demande qu'à pardonner, et la mère prisonnière de son passé qui cherche le pardon, les éléments du drame sont posés.
UN SPECTACLE POPULAIRE
photo : le théâtre-côté-cœur
David BOBEE s'est lancé le pari de transformer ce texte un peu vieillot en une oeuvre populaire. Ce qui saisit dès que l'on entre dans la salle est la magnifique scénographie. Les lumières, les rampes de spot sur lesquelles les compagnons de GENARO se reposent, se berçant au dessus de l'eau comme perchés au-dessus des canaux de Venise. Au fond en hauteur, un musicien. D'emblée l'ambiance est définitivement rock. Les jeux de lumières, la bande sonore (remarquablement réussie) donnent un ton très moderne à ce texte qui n'est pas connu pour être le meilleur du poète. Et si c'est ça faire du théâtre populaire alors je dis bravo et j'applaudi à tout rompre.
Socle d'eau mouvant tel le fleuve qui emporte les corps des victimes de la famille BORGIA, une eau sombre, bien loin de l'eau claire et purifiante du baptême. Les accessoires permettent de moduler l'espace et tant pis si certains trouvent cela dépassé et recyclé. Ce qui importe c'est la qualité de l'ensemble.
Car il y a beaucoup de belle inventions dans la mise en scène. Ainsi les combinaisons de lumières et de sons qui instaurent un climat, renforcent la dramaturgie de l'action. Ainsi la scène entre Don ALFONSE et LUCRECE lorsqu'elle négocie la vie de GENARO. Le dernier acte, la fête orgiaque chez La Princesse NEGRONI est une grande réussite et permet tout particulièrement à Dabid BOBEE d'exprimer tout son goût pour la multi-disciplinarité : acrobates, mimes, danseurs, comédiens, circassiens, tous mettent à profit cette bacchanale pour exprimer ses talents, dans un esprit de fête, de décadence.
DES COMÉDIENS COMPLÉMENTAIRES
Il faut saluer la remarquable prestation de chacun de comédiens. BOBEE est un touche à tout. Il a la capacité de marier avec succès les différentes composantes du spectacle vivant. Le texte est porté par d'excellents comédiens qui mixent les accents mais aussi les techniques selon les origines de leurs parcours. Ils sont aussi danseurs, mimes, acrobates, le tout offrant une grande complémentarité pour un jeu juste en tous points. GUBETA (Jérôme BIDAUX), l'âme noire de LUCRECE, est délicieusement odieux et malfaisant dans son rôle d'agent double. Magnifique Catherine DEWITT, Princesse NEGRONI , droite, ensorcelante et à la diction parfaite. Impérial Alain D'HAEYER qui donne à Don ALFONSE toute l’ambiguïté du mari amoureux et bafoué et du régent intransigeant qui ne veut se laisser fléchir par les cajoleries d'une femme dangereuse dont il se méfie. Digne, d'une voix puissante, il est le seul à ne pas trembler devant LUCRECE. Pierre CARTONNET est un GENARO un peu irrégulier, mais surtout torturé entre l'image de cette mère inconnue qu'il idolâtre et la vérité qu'il effleure sans jamais vouloir l'accepter. Tous sont convaincants et complètent avec malice et entrain cette joyeuse troupe de soldats que ne demande que des occasions de déverser leur trop plein de testostérone.
PREMIERE SCENE DE BEATRICE DALLE
Mon seul bémol est justement LUCRECE. Le pari est osé pour une actrice qui n'a jamais fait de scènes de choisir un personnage aussi fort, montrée dans une période de doute, tiraillée entre l'instinct d'une mère et la réputation d'une famille. Tout au long de la pièce de Victor HUGO on la voit tenter de rejeter ce que sa famille a fait d'elle et chercher à se faire absoudre des horreurs dont elle porte la responsabilité, pour pouvoir se racheter au yeux de ce jeune homme, le seul dont les sentiments à son encontre comptent à ses yeux.Lui qui est attiré par cette femme sensuelle et vermineuse sans pour autant comprendre les raison de cette attraction contre laquelle il n'arrive pas à lutter, même après que ses compagnons lui ait jeté au visage ce nom honni de tous. LUCRECE peut passer par des sentiments extrêmes, d'une seconde à l'autre, en parfaire manipulatrice, elle peut se faire douce et câline, douter, être assoiffée de vengeance, se montrer susceptible sur son image, perdue et fragile face à ce jeune homme qui l'émeut tant, et capable de rejeter tous ses serments pour sauver un homme tout autant qu'elle peut être une lionne sanguinaire réclamant réparation.
Mais il m'a manqué dans la prestation de Béatrice DALLE la force et l'intensité qui me semblent nécessaires pour le rôle. Etre acteur n'est pas être comédien. Des techniques différentes sont nécessaires. Au théâtre il faut porter la voix, maîtriser l'utilisation de l'espace, être constamment à l'écoute de ses partenaires. Il faut chaque soir être capable de retrouver la même intensité, la même énergie. Pas de "Coupez, on la refait" parce qu'un comédien a besoin de faire une pause ou qu'il faut réparer un ourlet de robe. Hélas, malgré le micro (peut-être un problème technique) la voix ne portait pas, l'articulé était souvent absent. Un certain manque de conviction dans le jeu qui nous empêche de totalement croire au personnage voire d'être en empathie avec la douleur de cette mère. Alors qu'elle peut faire éclat de sa colère lorsqu'elle dévoile sa vengeance à l'encontre des jeunes soldats, la voix et l'intensité font défaut au moment où elle devrait le plus être éclatante : sur la dernière phrase. Dommage car du coup il manque à cette dernière scène le souffle qui transformerait l'ensemble en un chef d'oeuvre.
UNE RÉUSSITE
Mais ne vous y tromper pas, malgré ce bémol, ce qui domine est le sentiments d'être subjuguée par une composition remarquable, une unité des différents composantes et la sensation d'avoir assisté à un spectacle exceptionnel sans avoir vu le temps passer. Merci M. David BOBEE pour ce beau spectacle populaire.
En bref : Un ensemble d'une grande cohérence. Une troupe formidable de complémentarité. Une scénographie moderne qui donne un coup de fouet au texte de Victor HUGO. Une bande son très réussie. Un grand moment de théâtre
C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Théâtre de Colombes
Parvis des Droits de l'Homme
88 Rue Saint Denis - 92700 COLOMBES
En tournée en France jusqu'en mai 2015
CHALLENGE THÉÂTRE - LECTURE SPECTACLE - LE BLOG D'EMEILLE
Vu le 4 novembre 2014 - Avant Seine - Colombes
Crédt photo © Agathe POUPENEY / Divergencesence
c'est un spectacle que j'ai très envie de voir, et tu confirmes cette envie!
RépondreSupprimerJe ne sais pas quand il passe par chez toi, mais indiscutablement à ne pas manquer.
RépondreSupprimerBonne journée