dimanche 23 novembre 2014

KINSHIP - CONFERENCE AVEC LA BLOGOSPHERE

TOUCHANTE ISABELLE



UNE RENCONTRE INTIMISTE

Nous sommes une petite quinzaine à avoir répondu favorablement à l'invitation de l'agence de communication de KINSHIP, la pièce qui voit le retour sur scène d'Isabelle ADJANI. L'ambiance est intimiste et la lumière tamisée dans la partie salon dans laquelle la comédienne prend place. Elle a l'air décontracté mais on la sent encore sous l'émotion de la représentation qui s'est terminée moins d'une heure auparavant et un petit brin nerveuse sous l'apparente décontraction. Petite précision : je n'ai pas encore vu la pièce au moment où je publie cet article, mais ce n'est pas tous les jours que je suis invitée à une rencontre avec une telle artiste, alors je n'ai pas hésité longtemps avant d'accepter l'invitation. D'autant plus que ma curiosité était aiguisée par les critiques assez tièdes, et j'avais très envie d'entendre ce que cette grande comédienne avait à nous dire. Au sortir de cette rencontre je suis sous le charme d'une femme à la fois fragile et forte, d'une extrême sensibilité, pleine d'humour et d'attention pour les autres, et toujours d'une grande beauté.


PARLER DES FEMMES AUX FEMMES

KINSHIP se joue depuis le 4 novembre au Théâtre de Paris. Une première retardée suite à la défection de Carmen MAURA, épuisée, et au changement de metteur en scène, Dominique BORG ayant remplacé Julien COLLET VLANECK, "à la demande de la production" précise la comédienne en réponse aux attaques de la presse sur son attitude prétendument capricieuse. "Les changements de metteur en scène ne sont pas rares. Cette fois-ci, on en parle parce que cela arrive sur cette pièce dans laquelle je joue", faisant le jeu d'une presse dont elle ressent une tentative de déstabilisation dans les commentaires sur les incidents ayant émaillés la mise en place de ce projet.

En choisissant le texte de l'auteure américaine Carey PERLOFF, passionnée de littérature françaiseIsabelle ADJANI voulait "parler des femmes aux femmes", car "jamais les femmes n'ont été en aussi en difficulté qu'aujourd'hui". KINSHIP parle d'une femme amoureuse dans une situation dramatique, de la passion inaccomplie d'une femme forte, brillante, heureuse, mariée et mère de deux enfants, qui tombe amoureuse d'un jeune homme. "Ce qui m'intéresse dans cette femme c'est sa perte de tous ses repères". Et n'allez surtout pas dire du personnage de "ELLE" qu'elle est une cougar. "Je déteste ce terme à la limite de la pornographie. Ce mot est aux antipodes de l'amour". C'est une femme en quête d'amour, une femme qui doute.


"J'ai aussi envie de texte fort" avoue-t-elle (aveu caché sur la faiblesse du texte, point sur lequel les critiques ont l'air unanimes ? ), en ajoutant "on me fait chier avec la mise en abîme de Phèdre". Ce texte, elle l'a choisi pour sa fulgurance, recherchant une nouvelle forme d'écriture théâtrale qui emprunte au rythme des séries. Elle nous confie qu'elle aimerait travailler à un projet d'adaptation de KINSHIP au cinéma, dans l'esprit des séries TV. Pour la grande comédienne, si le personnage créé par Carey PERLOFF s'inspire de Phèdre de RACINE, il s'est aussi nourri de Madame Bovary et de toutes les héroïnes amoureuses et malheureuses de la littérature française. Son héroïne est une femme passionnée, tourmentée par le temps qui passe, face à sa peur de l'abandon, en proie à ses doutes malgré le succès. Faut-il y voir un parallèle avec la vie de la comédienne qui avoue avec pudeur avoir vécu toute sa carrière dans le doute, face à une critique qui ne l'a pas ménagée ? "J'aime la dynamique de cette pièce, comment l'intrigue se met en place dans un temps réinventé". Si "l'auteur avait imaginé la pièce pour un espace plus réduit", elle a été surprise par l'adaptation pour laquelle Dominique BORG "a su inventer une mise en scène et a retenu une option minimaliste". (Sur ce point, n'ayant pas vu la pièce je ne me prononcerai pas). Et comme une réponse à la critique qui parle de platitude du texte elle répond que "la tragédie se dit avec les mots du quotidien" et d'ajouter qu'à son avis l'auteur n'est pas allée assez loin dans l'attaque du milieu de la presse.

LE REFUS DE SE RESTER FIGÉE DANS UNE CASE DEFINIE

Sur l'affiche, le nom d'Isabelle ADJANI est aussi mentionné en tant que Directrice Artistique. Cette fonction "d'enquiquineuse d'enquiquineur" comme le dit avec humour la comédienne, elle l'a voulu pour se donner plus de liberté dans la création. Oui elle est très tentée par la fonction de metteur en scène vers laquelle elle n'exclue pas de se tourner dans l'avenir. Après tout, à 12 ans au collège elle faisait déjà des mises en scène. "C'est le doute qui m'en a éloigné" mais elle aurait plaisir à y revenir. D'ailleurs ce rôle de Directrice Artistique a été perçu comme un plus par ses partenaires. Niels SCHNEIDER (qui m'a apparu un peu stressé pendant la conférence) ajoute que par cette fonction Isabelle a apporté beaucoup de bonnes idées, et Victoria SCOGNAMIGLIO confirme que cela a été d'un apport bénéfique pour l'interprétation de l'amie / mère qu'elle interprète et apporte une puissance comique à la pièce qui est avant tout une tragi-comédie. 
 
Cette mention de ses deux casquettes lui permet de dire son admiration pour les comédiennes françaises qui de plus en plus nombreuses, "refusent de se laisser enfermer dans le statut unique de comédienne et qui osent prendre des risques pour être et faire ce qu'elles veulent, sans attendre que l'extérieur ait validé la démarche". Ainsi Mélanie Laurent comédienne et réalisatrice. "Elles prennent le pouvoir d'une manière douce. Elles m'inspirent et me donnent envie de laisser une place à mes visions", leur permettre de prendre vie. "J'ai passé toute ma carrière avec énormément de doute sur moi même".

"L'EXALTATION EST TOUJOURS AU RENDEZ-VOUS"

8 ans que nous ne l'avions vue sur les planches. Elle rejette d'un geste de la main ce chiffre, comme pour diminuer ce que cela comporte de rappel négatif du temps qui passe inexorablement. "Quand je fais du théâtre cela prend toute ma vie. Il n'y a plus de place pour rien ni pour personne." La vie de famille ne lui permettait pas cette disponibilité. Et quand on lui demande s'il faut comprendre qu'elle va désormais déserter le cinéma elle répond qu'à cette étape de sa vie elle va "pouvoir s'accorder ce temps".

Il y a déjà un projet avec Luc BONDY, sur un texte d'un auteur russe, qui devrait être à l'affiche en 2015 (nous n'en saurons pas plus). Et si Isabelle ADJANI évoque brièvement son refus de jouer Phèdre pour Patrice CHEREAU elle avoue son regret d'avoir refusé de participer aux Liaisons dangereuses. Et confie également en réponse à une question qu'elle retournerait à la Comédie Française si on le lui proposait. Eric RUF n'y serait pas opposé.

Car elle a un vrai plaisir à revenir au théâtre. "L'exaltation est toujours au rendez-vous". Il y a le plaisir de jouer mais aussi celui de rencontrer le public. Il n'y a jamais deux soirs pareils car le théâtre "est un lieu mythique de communauté et de rencontre". Le comédien est comme un passeur. Elle évoque cette magie, cette vibration qui passe avec le public. "Le temps du spectacle, le spectateur est entièrement voué aux comédiens. Il y a une magie et une fascination vis-à-vis de ce public qui n'est qu'écoute. A la fin de la représentation j'ai envie de croire que nous lui avons apporté quelque chose". Et d'évoquer Jean-Pierre BACRI dans "Le goût des autres", lorsque son personnage de beauf assiste à une pièce de théâtre et en sort transformé. 

Quand à son statut de mythe, "c'est bon pour les morts. Pour les vivants, être un mythe c'est un handicap". Niels SCHNEIDER interrogé la manière dont il a abordé son travail face à une telle icone, dit qu'il a fallu du temps pour s'apprivoiser. "Il s'est établi une certaine pudeur", et de rougir à nouveau en évoquant timidement une répétition au cours de laquelle "Isabelle s'est lâchée" sur l'une des scènes intimes entre leurs deux personnages.

Il n'y aura pas de photo de cette entretien pour illustrer cet article. L'équipe de communication, par ailleurs très prévenante, nous a clairement interdit toute photo ou toute vidéo. Caprice de star ? Isabelle ADJANI avoue le paradoxe de détester se voir en photo quand on a choisi le métier de comédienne. D'ailleurs ses fils lui reprochent gentiment le vide des albums de famille. Et quand quelqu'un lui dit "vous avez tord" de ne pas (vous) aimer en photo elle répond avec pudeur et tendresse "ma mère me le disait aussi".


L'AVENIR

KINSHIP est à l'affiche du Théâtre de Paris jusqu'au 23 janvier 2015.

Si le futur d'Isabelle ADJANI s'écrira sur les planches, celui de Niels SCHNEIDER passe par le cinéma avec plusieurs projets pour 2014 et 2015. Quand à Victoria SCOGNAMIGLIO, après GOMORRA elle va retrouver le cinéma italien avec un film dans lequel elle interprétera le rôle d'une professeur de tango. 


oOo


Compte-rendu d'un entretien qui s'est tenu le 22 novembre 2014 dans les salons du théâtre de Paris. Merci à Isabelle ADJANI pour sa disponibilité, ainsi qu'à Victoria Scognamiglio et Niels SCHNEIDER, à l'équipe du théâtre et à Marie de Ma Com Agency.

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