LA GRÂCE D'EMMANUELLE RIVA ET LE TEXTE POÉTIQUE DE MARGUERITE DURAS
TROIS PIÈCES POUR UN HOMMAGE
Marguerite DURAS aurait eu 100 ans en 2014. Nombreuses sont les pièces à l'affiche des théâtres parisiens pour rendre hommage à l'auteur, dramaturge et réalisatrice. Le Théâtre de l'Atelier a choisi de lui rendre hommage en présentant 3 pièces pour 3 âges : Le square, Marguerite et le Président, Savannah Bay.
Si j'ai choisi la troisième ce n'est pas tant pas son sujet que pour la présence d'Emmanuelle RIVA.
DEUX FEMMES DANS LA DOULEUR
Une jeune femme rend quotidiennement visite à sa grand-mère. Elle se montre attentionnée et précautionneuse comme on peut l'être avec une personne âgée malade. Pour garder la mémoire en éveil elle lui fait écouter une chanson d'amour d’Édith PIAF. La jeune femme questionne son aïeule sur la chanson, sur son passé, sur sa vie de comédienne, sur son histoire, sur une histoire particulière. La grand-mère perd-elle la mémoire ou bien fait-elle exprès de ne pas se souvenir, de ne pas savoir ?
L'émotion de la jeune femme devient de plus en plus vive alors que se fait plus clair l'enjeu de ce qui semble être une conversation quotidienne. Entre les deux femmes une absente. Pour ces deux femmes le lien d'une douleur immense, intense, vive créée par ce vide et que le temps n'atténue en rien. Pour l'une c'est sa fille morte trop jeune. Pour l'autre c'est cette mère trop tôt disparue. Chacune vit ce manque à sa manière. L'une est en quête permanent d'une réponse à une question lancinante : qui était sa mère ? Pourquoi est-elle partie si tôt ? L'autre a passé sa vie à noyer dans son métier de comédienne ce chagrin incommensurable. Il semble que ni l'une ni l'autre n'obtiendra jamais de réponse satisfaisante au pourquoi de cette douleur qui leur vrille le cœur. Toutes deux semblent les victimes indirectes de l'amour trop intense de l'absente pour un homme. Un amour absolu, irrationnel et égoïste.
Le texte de Marguerite DURAS est parfois déroutant. Il entremêle les instants de connivence entre les deux femmes, les moments de lucidité, avec des échanges qui tanguent comme la mémoire flétrie de la grand-mère, comme bercée par les vagues de cette mer si proche. Elles se cherchent, se découvrent, se reconnaissent, s'apprivoisent. Il est question de vie et de mort, d'amour, de douleur mais aussi de théâtre. "Il faut que le dise une fois, presque rien n'est joué au théâtre... tout est toujours comme si... comme si c'était possible" fait-elle dire au personnage de la vieille dame. Un doute s'instaure : s'agit-il de la mère et de la fille ou de la grand-mère et la petite fille. Est-ce bien la fille qui s'est donnée la mort par amour ? Savannah est-il un même nom porté par deux générations de femmes au sein d'une même famille ou par une seule et même femme réelle ou imaginaire ? Cet homme évoqué au théâtre ou au cinéma, de qui était-il l'amant ? Que n'est-il resté avec sa fille ? Cette vieille femme qui semble fragile est le dernier lien qui lie la jeune femme à ce passé qui lui reste si indéchiffrable, si incompréhensible, si irrationnel (ressenti personnel).
Crédit photo @Nathalie Hervieux
Crédit photo @Nathalie Hervieux
UNE INTERPRÉTATION SENSIBLE ET GÉNÉREUSE
Emmanuelle RIVA capte toute l'attention du public par son jeu naturel qui émeut et désarme. Elle donne à la vielle femme une intensité déchirante. Après "AMOUR" de Michael HANEKE qui m'avait bouleversée, j'ai retrouvé dans Savannah Bay toute l'intensité et la grâce de son jeu, sa voix qui est restée la même, si jeune, un petit côté espiègle comme l'étincelle d'une petite fille qui refuserait de se laisser enfermée dans un corps vieillit par les caprices du temps.
Il n'est pas facile de donner la réplique à un mythe vivant. Anne CONSIGNY relève le défi avec brio. J'ai été très touchée par son jeu juste, attentif, sensible et frais. Après son retour sur scène en novembre 2013 au Théâtre du Rond-Point dans "Élisabeth ou l'équité" elle confirme qu'elle est une des grandes actrices française.
La mise en scène de Didier BEZACE est sobre, laissant éclater toute la finesse de jeu des deux comédiennes. Un décor constitué d'une estrade de bois qui rappelle les planches de Deauville et qui occupe l'espace central. Elle est éclairée par les variation de la lumière du jour qui au travers des volets et de la fenêtre de cette maison de bord de mer dans laquelle résonne toujours les échos du drame qui imprègne la vie des deux femmes.
J'avais décidé de bannir le mot "générosité" de mes articles le trouvant trop banalisé ces derniers temps (y compris par moi-même). C'est pourtant le mot qui me vient au sortir de cette représentation. Générosité d'Anne CONSIGNY et surtout d'Emmanuelle RIVA. La comédienne ne disait-elle pas dans une interview accordée au journal Le MONDE récemment "Je suis avant tout une actrice d'instinct. J'ai besoin de m'imprégner longuement des textes, de rêver, d'accumuler des sensations, des sentiments, et, à un moment, tout cela ressort". Quelle force et quel magnifique cadeau vous nous faites Mme RIVA. Merci.
Crédit photo @Laurence Houot CultureBox
POUR EN SAVOIR PLUS
"SAVANNAH BAY" a été écrit en 1982 et publié au Éditions de Minuit. et créée en 1984 par Madeleine RENAUD dans le rôle de la vieille dame et Bulle OGIER dans celui de la jeune femme. Marguerite DURAS dira "Je peux raconter Savannah Bay. Le texte n'était rien avant que les comédiennes le fassent leur, lui donnent vie". Ce que Emmanuelle RIVA et Anne CONSIGNY font ici magnifiquement.
En bref : Un moment rare. Une rencontre avec un texte puissant et une histoire poignante. Un cadeau fait par Emmanuelle RIVA au public. Assurément l'une des pièces à ne pas manquer cette saison 2013/2014.
C'EST OU ? C'EST QUAND
1 Place Charles DULLIN - 75018 PARIS
Métro Anvers, Pigalle, Abesses
Du 4 Février au 9 mars 2014
LE SQUARE 19h les mardis, jeudi, samedis
MARGUERITE ET LE PRÉSIDENT 19H les mercredis et vendredis
SAVANNAH BAY 21h du mardi au samedi
Dimanche l'intégrale
Marguerite et le Président à 15h - Le Square à 17h et Savannah Bay à 19h
Vue le 23/02/14 au Théâtre de l'Atelier - Paris
CHALLENGE THÉÂTRE 2014
une pièce que j'aurais beaucoup aimée voir!
RépondreSupprimer