EN MEMOIRE DE
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Il est minuit. À ce stade de la nuit, comme chaque soir, elle boit son café, sa journée terminée. Un moment de calme et de sérénité. Mais la radio annonce un (nouveau) naufrage d'un bateau de migrants au large de Lampedusa. Une tasse vole vers le sol, rejoindre d'autres débris.
Lampedusa,
"Le Guépard" de Visconti, adapté du roman de Giuseppe Tomasi du Lampedusa.
A ce nom, la femme fait l'association avec le film, les yeux de Burt Lancaster, l'opposition avec Alain Delon. La fin d'un monde qui doit laisser place à un nouveau monde.
Des scènes du film sont projetées sur l'écran en fond de scène. Suivent des scènes du film "The swimmer", autre film avec Burt Lancaster, ou la fuite en avant d'un homme, de piscine en piscines, pour rentrer chez lui. Puis l'artiste peintre kurde en exil Mahmood Peshawa commence à dessiner des visages, en résonnance avec le texte.
La toute petite scène de la salle du Chapitre se fait écrin et écho de ce court texte écrit par Maylis de Kerangal en 2013. Sur ce bateau, il y avait plus de 500 migrants. Plus de 350 ont péri. Les services de secours n'ont pas sauvé ceux qu'ils auraient pu sauver apprendra-t-on plus tard.
La langue singulière de Maylis de Kerangal est portée avec force, clarté mais sans emphase, par Sophie Cattana, magistrale. Pas de théâtralité mais de la sobriété pour souligner l'impuissance ressentie par cette femme (par nous spectateurs) face à ces drames répétés, une révolte intérieure qui se répète, inlassablement, sans que le monde ne semble changer. Sur la toile, les visages peints par Mahmood Pashawa se multiplient, effrayés, le regard vide, la bouche ouverte tel un dernier cri.
Le collectif ildi ! eldi a inscrit dans son projet général, depuis 2020, le travail avec des migrants artistes, pour leur permettre d'exprimer leur art, via un lieu, une plateforme nommée "Boa". "À ce stade de la nuit" s'inscrit dans cette démarche. Le spectacle présenté au théâtre des Halles dans le Off 2025 est la continuité d'un projet de 2020 initié par le peintre et le comédien Antoine Oppenheim, augmenté de la musique (angoissante) de Pierre Avia.
Le texte ne parle pas de la réponse des politiques à cette situation. Il montre une femme hébétée, impuissante, sidérée, face à un monde qui perd son humanité. Un texte à la mémoire de ces naufragés, pour ne pas oublier.
En bref : la langue de Maylis de Kerangal portée majestueusement par Sophie Cattana, et mise en peinture live par Mahmood Pashawa, pour un spectacle fort qui ne laisse pas indifférent.
À ce stade de la nuit, texte de Maylis de Kerangal, mise en scène Antoine Oppenheim et Sophie Cattani, avec Sophie Cattani et Mahmood Peshawa ; Lumières Cyril Meroni ; Musique Pierre Aviat ; scénographie Cyril Meroni ; vidéo Antoine Oppenheim - Production Collectif ildi ! eldi.
C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Crédit photo @ Antoine Oppenheim
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