MEMOIRE TROUBLE
Pour sa réouverture le théâtre de l'Odéon reprend un spectacle interrompu par le second confinement. Ivo Van Hove s'empare du texte de Tenessee Williams, "La ménagerie de verre" et dirige Isabelle Huppert entourée d'un très beau trio.
En ce soir de dernière (et de couvre-feu décalé à 23h) le public est heureux de retrouver le chemin du théâtre avant de profiter de la restauration sur le parvis après le spectacle. Isabelle Huppert quant à elle nous a fait le cadeau d'une belle interprétation. C'est ce que j'aime notamment chez Ivo Van Hove : la qualité de sa direction d'acteur. Dans cette "Ménagerie de verre" qui donne à voir l'enfermement de cette famille par le prisme de la mémoire trouble du fils Tom, chacun des trois comédiens est parfaitement à sa place. A commencer par Isabelle Huppert qui est Amanda, la mère, nostalgique du Sud de sa jeunesse, fière de ses enfants qu'elle étouffe néanmoins. Elle est malicieuse, espiègle, manipulatrice, colérique, cajoleuse : une pile électrique qui varie les expressions sur un rythme effréné. Une mère possessive et aimante, encourageante et castratrice, femme blessée par le départ de son mari, mère fragile et résiliente.
Dans la mémoire de Tom, le narrateur, il y a trois personnages autour de cette mère instable, à commencer par lui. Entre colère et résignation, enfermé entre sa mère et sa soeur il n'a que deux modes d'évasion : son travail à l'entrepôt, qui lui permet de faire vivre le trio, et le cinéma où il prétend se rendre tous les soirs. Antoine Reinartz est ce Tom protecteur de sa soeur Laura, et qui n'arrive pas à partir ni à affronter sa mère. Justine Bachelet est Laura, jeune femme fragile, maladivement timide, qui boite et est affreusement mal à l'aise où qu'elle soit, ne se sentant utile et rassurée que lorsqu'elle s'occupe de ses animaux de verre, ménagirie tout aussi fragile qu'elle. Silhouette fine, au jeu très animal, elle est d'une présence souvent silencieuse, qui trouve sa force dans la bienveillance des autres, celle de Tom mais aussi celle de Jim. Ce dernier est le prétendant qu'espère Amanda pour sa fille, et celui que Laura admire depuis le lycée. Cyril Guel tient avec justesse, aisance et brio ce jeune homme sûr de lui, bienveillant et encourageant, inspirant confiance et sur l'épaule duquel Laura aimerait poser son épaule. Il incarne la possibilité de l'ouverture sur un ailleurs heureux.
Mais la fuite est impossible. Le magnifique décor, la scénographie et la lumière de Jan Versweyveld représentent l'enfermement psychique du trio familial. Pas de sortie possible hormis un petit escalier coincé entre deux murs, qui monte vers la rue, la liberté, le monde. Dans ce rectangle en sous-sol, où la cuisine occupe une place imposante, les couleurs chaudes des peintures murales (images floues du père qui les a abandonnés) et de la moquette, ces tons à dominante marron, d'une texture soyeuse, donnent une illusion trompeuse d'une chaleur humaine. Dans ce cadre enfermant, la mise en lumière magnifie le texte et le jeu des comédiens, comme dans la scène entre Laura et Jim où on se sent au chaud et en sécurité comme dans une grotte, aussi exigüe soit-elle.
En bref : La magie Van hove opére encore une fois. Dans une mise en scène qui met l'accent sur l'enfermement psychique du trio familial, il démontre une fois de plus la qualité de sa direction d'acteur, dans une scénographie et une lumière d'une grande subtilité.
La ménagerie de verre, de Tennessee Willams, mise en scène Ivo Van Hove, avec Isabelle Huppert, Justine Bachelet, Cyril Guei, Antoine Reinartz, scénographie et lumière Jan Versweyveld, costumes An D'Huys, son et musique Georges Dhauw
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