jeudi 2 avril 2020

THE PRISONER

QUELLE EST NOTRE PRISON ?
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Cette période étrange et inédite de confinement qui nous prive de contact physique et, entre autres, de l'accès libre à nos loisirs et nos passions, s'avère finalement très riche en découvertes culturelles grâce au foisonnement d’œuvres en tout genre mises en ligne par les théâtres ou les compagnies. Ainsi les Bouffes du Nord nous donnent-ils à voir plusieurs spectacles de leur catalogue dont "The prisoner". Voici ma première chronique d'un spectacle vu en captation pendant cette période où le temps s'étire différemment.


UN THÉÂTRE PUR

Un homme nous narre un récit étrange. C'est l'histoire d'un homme assis dans le désert avec pour seul horizon une prison. Il lui est interdit de partir. Pourquoi est-il là ? A qui lui pose la question il répond "I am here to repair" (je suis la pour réparer). Quel crime doit-il ainsi expier ? Pourquoi n'est-il pas dans la prison ? Combien de temps cela va-t-il durer ?

La force du théâtre de Peter Brook et de Marie-Hélène Estienne réside pour moi dans trois axes : la sobriété des décors alliés à la subtilité de la scénographie, la perfection de la direction d'acteur et la virtuosité de comédiens, la part belle faite au texte, toujours limpide (même en anglais).

The prisoner a été créé en 2018, né d'une rencontre en Afghanistan avec un homme assis devant une prison. On pourrait être dans une tragédie grecque. Le prisonnier de Peter Brook a tué son père parce que que ce dernier couchait avec sa fille. Il a agi par jalousie, lui-même étant également amoureux de sa sœur. Mais l'argument n'est que le prétexte à la mise en oeuvre de la punition. Le narrateur nous conte en fait une fable philosophique, un conte initiatique. L'homme vivra sa sentence non pas privé de sa liberté physique. C'est enfermé en lui-même qu'il fera le chemin qui le mènera vers sa liberté. Mais ceux qui viennent le voir sont-ils pour autant plus libres? Condamné à vivre mentalement son emprisonnement, son silence et son immobilisme perturbent sa famille, les villageois voisins et le fonctionnement de la prison qui lui fait face. Chaque personnage de cette fable, coupable ou acteur de la tragédie, juge ou témoin de l'exécution de la sentence, suivra son propre chemin intérieur pour trouver sa propre vérité.

Quelques éléments de décor (un banc en bois, quelques branches, un peu de foin, un jerrican, une couverture) suffisent à permettre au spectateur de visualiser la cellule, la montagne, la forêt, le désert, la prison, le village dans le lointain. Les magnifiques lumières de Philippe Vialatte créent l'atmosphère du conte, propice à la réflexion intérieure, illuminent ce chemin intime et jouent la proximité avec le spectateur. Les comédiens et la comédienne sont magnifiques de justesse, de sensibilité et de retenue. Le jeune Hiran Abeysekera (le prisonnier) est splendide de fraîcheur. La candeur de son regard d'enfant se durcit avec l'épreuve du châtiment pour retrouver sa sérénité au bout du chemin. 


CONFINEMENT INTÉRIEUR

Je n'ai pas vu ce spectacle lors de sa création. Le voir aujourd'hui, alors que depuis 16 jours la France vit un confinement général où chacun est reclus dans son "home sweet home" seul ou en famille, donne un angle bien différent de ce que j'aurai pu ressentir entre les murs rouges du beau théâtre des Bouffes du Nord. Comment ne pas faire un parallèle entre cet homme et ce que vit aujourd'hui plus de la moitié de la population mondiale ? Cet enfermement pour raison sanitaire n'est-il pas pour chacun d'entre nous l'occasion inespérée de nous interroger sur notre monde d'avant, celui que nous avons contribué, d'une manière ou d'une autre, à construire (ou à détruire, c'est selon), et à envisager le monde d'après, celui dans lequel nous avons vraiment envie de vivre et voir grandir les générations futures ?

"To pay you must free yourself. You have learned to survive but this is not enough. You must go deeper in yourselg. One day you will know that your time is over [..] One day you will know that day you'll be free to leave and go back to life and take place in life".

Comme le narrateur Peter Brook ne nous donnera pas de réponse toute faite. Chacun partira avec ses interrogations et sa vérité ou bien le point de départ de sa quête intérieur.

N'est-ce pas ce à quoi nous incite aujourd'hui Peter Brook, à profiter de cette période de privation de libertés pour mener notre quête intérieure ?


En bref : entre tragédie grecque et conte initiatique, The Prisoner sème en nous les graines d'une quête intérieure. Graines qui dans cette période de confinement sanitaire pourraient faire éclore des nombreuses surprises lorsque tomberont nos prisons intérieures et s'ouvriront à nouveau les portes vers l'extérieur.

The prisoner, de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, mise en scène des auteurs, avec Hiran Abeysekera, Ery Nzaramba, Omar Silva Kalieaswari, Srinivasan, Sean O'Callaghan

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
A voir en captation jusqu'au 6 avril 2020 sur Viméo :
Lien en cliquant ICI

et pour une fois (le moins longtemps possible j'espère) je vous dis

RESTEZ CHEZ VOUS !

et prenez soin de vous


Vu en captation - Avril 2020

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