BRISEUSES DE CHAINES
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Il y quelques années Pauline Bureau s'emparait du scandale du Médiator et créait le bouleversant "Mon cœur". Dans la continuité de ce théâtre documentaire qui dénonce les injustices elle s'attaque cette fois-ci au droit à l'avortement. Alors que ce droit est menacé ou toujours en quête de reconnaissance dans le monde "Hors la loi" est une pièce nécessaire.
LA PETITE HISTOIRE DANS LA GRANDE HISTOIRE
La pièce est construite en deux parties : la première est centrée sur l'histoire de Marie-Claire Chevalier et de sa mère, la seconde sur leur procès dit "Procès de Bobigny". Marie-Claire à 15 ans en 1971. Sa mère est seule pour l'élever ainsi que sa sœur cadette. Comme toute adolescente elle est sensible au charme des garçons, surtout s'ils ont une voiture. Et innocente. Cet été là celui-ci pour lequel bat son cœur va la violer. Honteuse elle ne dira rien. Quelques semaines plus tard les vomissements matinaux commencent. Elle est enceinte. Contre la position de sa mère Marie-Claire ne veut pas garder l'enfant. Sa mère, employée à la RATP, va se mettre en quête d'une faiseuse d'ange, car elle ne peut pas payer les 4.500 F que demande le gynécologue. Deux mois plus tard la mère, la fille, l'amie qui a donné le nom et la faiseuse d'ange sont arrêtées. Dénoncées par le violeur qui échappe ainsi à une peine de prison pour vol de voiture, les 4 femmes seront jugées pour non respect de la loi de 1920 qui fait de l'avortement un crime. Aidées par l'association Choisir elles seront défendues par Gisèle Halimi. Le procès de Bobigny posera les premières pierres qui conduiront à la loi Veil de 1974 qui dépénalisera l'avortement.
LE CHOIX DE L'INTIME
C'est sur un décor résolument réaliste que s'ouvre le spectacle. Une cuisine d'un modeste appartement. Des meubles en formica. Une mère de famille, modeste employée, qui élève seule ses deux filles. Une vie tranquille, rythmée par l'école et les horaires de travail, les repas et la simplicité des jours qui coulent lentement. L’aînée est bien un peu rebelle du haut de ses 15 ans mais c'est le calme, l'ordre et le respect qui animent cette famille.
Pauline Bureau nous place dans l'intimité de cette famille simple, et dans l'intimité du drame qui va transformer leur vie et celle de toutes les femmes française (et peut-être au-delà). Leur histoire est introduite par Marie-Claire devenue grand-mère. Elle a 60 ans mais cet été 1971 l'a marquée pour toujours. Elle revoie l'adolescente qu'elle était. Pendant toute cette première partie nous voyons Marie-Claire adolescente revivre son histoire sous les yeux de la femme qu'elle deviendra.
UN PROCÈS POLITIQUE
Cette intimité on la retrouve dans le procès à huis-clos qui constitue la seconde partie. Le procès de Bobigny. Sous l'impulsion de Gisèle Halimi qui transformera ce procès d'une sous-disante filière d'avortement en procès politique. Nous sommes plongés au cœur des débats qui se tirent à huis-clos. Comme pour "Mon coeur" Pauline Bureau se place du côté des victimes. Elle nous fait ressortir les émotions qui les traversent, de l'innocence de l'adolescente à la colère de l'adulte en passant par la dignité de la mère et la lâcheté des hommes (ou de la plupart). Elle met l'accent sur la différence que la justice d'alors faisait entre les femmes modestes et celles qui ne l'étaient pas. Lorsque s'affiche les noms des signataires du Manifeste des 343, comment ne pas être saisi(e) d'émotion, notamment lorsque s'inscrivent ceux de Danièle Lebrun, présente sur scène, interprétant Simone de Beauvoir, également signataire de ce manifeste.
Ecrit sur la base des récits de Marie-Claire et sur des recherches historique approfondies "Hors la loi" s'inscrit pleinement dans le théâtre documentaire de qualité. En replaçant le cadre historique, sociétale et économique dans lequel se sont inscrit les prémices de la loi Veil Pauline Bureau nous rappelle combien il faut rester vigilant et combien les droits des femmes restent fragiles, en France comme dans le monde entier. Et qu'on peut regretter qu'il n'y ait pas dans le monde plus de Delphine Seyrig, de Michel Rocard, de Jacques Monod, de Simone de Beauvoir, de Gisèle Halimi pour que partout les femmes soient les seules à décider de ce qu'elles font de leur corps.
PORTRAITS DE FEMMES
Dans une distribution réussie deux comédiennes se détachent. Martine Chevalier est la touchante Marie-Claire devenue adulte, et la savoureuse Madame Bambuck, faiseuse d'ange par nécessité. Coraly Zahonero est éclatante de dignité dans le rôle de la mère et admirable dans celui de Delphine Seyrig venue témoigner à la barre de ses actions pour l'avortement, image de cette tranche de la société qui n'est alors par inquiétée pour ces mêmes faits reprochés à Marie-Claire et sa mère. Françoise Girard porte avec force le combat de Gisèle Halimi. Claire de la Rüe du Can est la fragile Marie-Claire adolescente, au regard parfois tellement perdu qu'elle semble ne plus habiter son corps. Alexandre Pavloff est quant à lui un étonnant Michel Rocard.
En bref : avec Hors la loi Pauline Bureau offre une leçon d'histoire. Brandissant haut et fort le droit des femmes à disposer de leur corps elle met en scène de façon intimiste l'histoire personnelle qui devient la grande histoire. Un spectacle nécessaire alors que les droits des femmes sont constamment remis en cause ici et ailleurs. Un immanquable de cette fin de saison.
Hors la loi, mise en scène Pauline Bureau, avec Martine Chevalier, Coraly Zahonero, Alexandre Pavloff, Françoise Gillard, Laurent Natrella, Danièle Lebrun, Claire de la Rüe du Can, Sarah Bannens, Bertrand de Roffignac
Comédie Française - Théâtre du Vieux Colombier
21 Rue du Vieux Colombier 75006 Paris
Du 24 mai au 7 juillet 2019
Crédit photo @Brigitte Enguerand
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