dimanche 29 janvier 2017

DES ROSES ET DU JASMIN

LE SOUFFLE ÉPIQUE D'ADEL HAKIM
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Après la reprise d'ANTIGONE c'est une nouvelle création d'Adel Hakim qui met à l'honneur le Théâtre de Palestine au Théâtre des Quartier d'Ivry. Trois générations de femmes malmenées par l'Histoire, 40 ans d'amour et de haine entre Israël et Palestine. Le souffle de la tragédie porté par une troupe qui excelle dans son art.


HISTOIRE FAMILIALE ET COLLECTIVE

1944. Miriam est une jeune femme juive pleine de vie. Elle a fui l'Allemagne pour Jérusalem. Dans un bal elle rencontre John, officier britannique. L'amour de sa vie lui donnera une fille, Léa, et mourra dans l'attentat contre l’hôtel King David le 22 juillet 1946, étape importante de la construction d'Israël. Miriam se pardonnera-t-elle d'avoir donné à l'Irgoun, qu'elle a rejoint sous l'impulsion de son frère, les informations qui ont permis le succès de cette opération ?


20 ans plus tard Léa, qui refuse de devenir soldat, rencontre Moshen. Il est palestinien. C'est le coup de foudre. Leur fille Yasmine naît au moment de la guerre des 6 jours. Léa est séquestrée à Tel-Aviv par son oncle Aaron, qui la contraint à abandonner son mari et sa fille. Moshen rejoint l'organisation clandestine OLP. 20 ans plus tard Yasmine est une activiste convaincue lors de la première Intifada. Arrêtée par l'armée israélienne elle est interrogée par Rose, soldate impitoyable. Lorsque Moshen retrouve sa femme et sa fille il découvre l'existence de sa deuxième fille, Rose. Mais il est trop tard. Yasmine meurt sous la torture et Rose se suicide.


OEUVRE MAGISTRALE

Avec cette fresque historique en trois tableaux Adel Hakim restitue avec simplicité et limpidité une partie de l'histoire du Moyen-Orient, prenant à témoin les femmes sur trois générations. Son récit est clair. C'était un pari osé que de tenter de raconter le conflit israélo-palestinien, sans tomber dans la caricature ni le manichéisme.

Chaque tableau est introduit par un duo de clowns, transposition du chœur antique. clowns masculins en noir et blanc dans la première partie, duo féminin tout de rouge vêtu dans la seconde, duo des grands-parents dans la dernière. Il offre un contraste permettant de délivrer les parties les plus dures du récit.

C'est une tragédie contemporaine. Bien sûr on pense à Romeo et Juliette, mais, comme le dit l'un des personnages dans l'oeuvre de Shakespeare "les enfants dépassent les préjugés de leurs familles". Les destins individuels sont indissociables du destin collectif. Chacune des héroïnes devra choisir entre l'amour et la patrie. L'imbrication des personnages démontre toute la complexité de la situation politique, des rapports homme-femme. Une oeuvre riche de différents niveaux de lecture.

TROUPE MAJESTUEUSE

Pourtant il n'allait pas de soin de faire interpréter par des acteurs palestiniens une histoire qui commence avec une famille juive partiellement décimée dans les camps de concentration. Adel Hakim a commencé l'écriture en 2014. Le texte, travaillé entre la France et Jérusalem, a été resserré pour donner cette version magnifique présentée pour la première fois en Palestine en juin 2016.

La troupe du Théâtre de Palestine présente un travail d'une très grande qualité. Shaden Saleem, qui était Antigone dans la précédente création, est une Miriam qui traverse les épreuves du temps et de la vie pour sombrer dans la folie, hantée par le fantôme de son mari, témoin impuissant des drames éprouvés par sa famille. Hussam Abu Eisheh passe d'un Créon impitoyable à un Aaron tout aussi intransigeant. Tous sont remarquables, passant d'un personnage à un autre selon les époques : Alaa Abu Gharbieh (Alphan Dov), Kamel El Bashan (Saleh) Yasmin Hamaar (Gamma, Léa) , Faten Khoury (Epsilon, Rose), Sami Metwasi (John), Lama Namneh (Lamba, Yasmine) et Daoud Toutah (Béta, Mohsen). Ils évoluent dans un décor simple fait de panneaux translucides mobiles et d'un écran en fond de scène, avec pour seuls accessoires deux tables et quelques chaises. Mention particulière pour la mise en musique.

En bref : cette seconde création avec le Théâtre de Palestine permet à Adel Hakim de nous offrir une fresque historique émouvante. Le souffle épique des grands traverse cette tragédie contemporaine. Une troupe dotée d'un immense talent pour une oeuvre magistrale qui traite avec simplicité et sans manichéisme d'une situation complexe au travers du destin de trois générations de femmes. A ne manquer sous aucun prétexte.

Des Roses et du Jasmin, de Adel Hakim, mis en scème par Adel Hakim, avec Hussam Abu Eisheh, Alaa Abu Gharbiehn JKamel El Basha, Yasmikne Hammar, Faten Khoury, Sami Metwasin Lama Namneh, Shaden Salim, Douad Toutah, Scénographie et lumières Yves Collet, Dramaturgie Mohmed Kacimi, Vidéo Matthieu Mullot, Costumes Dominique Rocher, Chorégraphie Sahar Damouni, Collaboration artistique Nabil Boutros

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Théâtre des Quartiers d'Ivry / Manufacture des Oeillets
1 Place Pierre Gosnat94200 Ivry sur Seine
du 20 janvier au 5 février 2017

Comédie de Genève
25 février 2017

Théâtre National de Strasbourg
du 28 février au 8 mars 2017

Crédit photo @Nabil Boutros / Vidéo Théâtre de Palestine

jeudi 26 janvier 2017

PIEGE MORTEL

SUCCOMBEZ A LA TENTATION DE CE PIÈGE MORTEL
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Quand un auteur de pièce policière en panne d'inspiration reçoit un texte prometteur on peut s'attendre au pire de sa part. Et c'est le meilleur qui ouvre la deuxième partie de saison au Théâtre La Bruyère où le duo Sibleyras / Metayer semble bien parti pour un nouveau succès avec ce polar aux rebondissements multiples mené avec talent par Nicolas BRIANCON.

SUSPENS

Sidney Brown a écrit il y a 18 ans une pièce qui fut un grand succès pendant plusieurs années. Marié depuis 11 ans il a de plus en plus de mal à retrouver l'inspiration. Arrive sur son bureau un texte extrêmement bien écrit envoyé par un jeune auteur qu'il a eu comme élève lors d'un séminaire. Pour le convaincre de collaborer avec lui Sidney l'invite pour discuter des moyens d'améliorer le texte. Sous le regard incrédule de sa femme qui se demande s'il est sérieux il imagine de se débarrasser du jeune homme pour s'approprier son texte.

Impossible d'en dire plus sans prendre le risque de vous priver du plaisir de découvrir par vous-même tous les méandres de ce PIEGE MORTEL. Je me contenterai de vous dire que l'écriture d'Ira LEVIN, adaptée par Gérald SIBLEYRAS fait mouche à tous les coups. Guidé par la mise en scène énergique d'Eric METAYER (Molière de la pièce comique en 2010 pour Les 39 marches), rebondissement et retournements se succèdent, laissant le spectateur scotché. Le scénario n'a rien à envier à celui du LIMIER, chef-d'oeuvre de Mankiewicz.

C'est dans le beau décor d'Olivier HEBERT que se déroule ce polar en huis clos. Un manoir ancien isolé, un mur de pierre déployant une collection d'armes, le bureau de l'écrivain, une baie vitrée qui donne sur le jardin, des volets qui claque les soirs d'orage, le feu qui crépite dans la cheminée, une voisine aux capacités surprenantes, un mur décoré d'affiches de pièces à succès (avec un petit clin d’œil aux 39 marches) : tout est en place pour nous faire vitre une soirée pleine de surprise.

LA TOUCHE METAYER

On retrouve la touche d'Eric METAYER dans la mise en scène. Des accessoires qui jouent des tours, des jeux de lumière précis, des comédiens affûtés qui nous mènent par le bout du nez sur des chemins que nous n'avions pas imaginés. Les positions des uns et des autres sont constamment chamboulés et si on pressent qu'il va se passer quelque chose de surprenant nous sommes constamment surpris par la tournure des événements.

Nicolas BRIANCON prend plaisir à être Sidney. Farceur, cynique, manipulateur, fourbe, inquiet, amoureux, jaloux : il excelle à brouiller les pistes pour mieux nous perdre. Virginie LEMOINE, anxieuse à souhait, a du mal à suivre les méandres de la réflexion de son mari. Dans le rôle du jeune Clifford Anderson, Cyril GARNIER (du duo Garnier et Sentoux), est intriguant, séduisant, intelligent. Si Marie VINCENT est parfois un peu caricaturale mais compose un personnage truculent. Damien GADJA clôture avec justesse la distribution.

PIEGE MORTEL, Deathtrap dans la version originale en anglais, a été adapté au cinéma par Sidney LUMET. Le duo Gérald SYBLEIRAS / Eric METAYER qui n'en est pas à son premier succès, transforme l'essai et nous a concocté un petit bonbon qui se savoure lentement et avec délice, qui laisse éclater à chaque bouchée une saveur différente et surprenante.


PIEGE MORTEL de Ira Levin, adatation Gérald Sibleyras, mise en scène Eric Metayer, avec Nicolas Briançon, Cyril Garnier, Virginie Lemoine, Marie Vincent et Damien Gajda

En bref  : Gérald Sibleyras adapte avec brio la pièce à succès d'Ira Levin. Un polar rondement ficelé mis en scène avec énergie et humour par Eric Metayer. Conduits par Nicolas Briançon en grande forme les cinq comédiens se plongent avec gourmandise dans une intrigue à rebondissements. Pas de temps mort pour le public qui frémit de plaisir.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Rue La Bruyère 75009 Paris
A partir du 24 janvier 2017
Du mardi au samedi à 21h - Matinée samedi 15h30

mardi 24 janvier 2017

MON TRAITRE

ETRE OU NE PAS ETRE UN 
HÉROS
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Emmanuel MEIRIEU adapte et met en scène deux textes de Sorj CHALANDON qui  nous plongent dans l'Irlande du Nord de l'IRA, entre héroïsme et trahison. Un récit autobiographique porté avec force par trois comédiens, et dont on ne sort pas indemne.


TROIS MONOLOGUES

C'est dans la pénombre que l'on rentre dans la salle Jean Tardieu du Théâtre du Rond-Point. Sur la scène une forme gît sous une toile grossière. Entre ombre et lumière. La pluie tombe sur ce jour de 2014. On enterre Tyrone MEHAN. Ils ne sont que trois pour porter en terre celui qui fut un héros de l'IRA avant de se révéler un traître. Il sera abattu le lendemain de son aveu.

Antoine, le luthier parisien, est venu exprès. Il prend la parole pour s'adresser à celui qui fut comme un père, celui qui l'a initié à la lutte contre l'occupant. La voix emplie de colère il veut comprendre, se rappelle leur rencontre dans les toilettes d'un bar, leur voyage sur les terres d'enfance de Tyrone, cette casquette qui les lie plus solidement que le sang. Il revient sur les espoirs qu'il portait et la désillusion, le choc, l’incompréhension lorsque Tyrone a avoué être un traître à la cause depuis 20 ans. "Je voulais qu'il affronte ces yeux-là". Antoine s'interroge : Tyrone était-il un ami sincère ou s'est-il joué de lui comme des autres ?

Jack, le fils de Tyrone prend le relais. Lui qui au nom de la cause a subi l'humiliation dans les prisons britanniques, subissant des traitements inhumains par le refus d'être traité comme un prisonnier de droit commun, lui qui a souffert pour défendre cette terre. Plus que tout autre il se sent trahi par ce père qu'il admirait. Il chante sa honte de porter par ricochet la trahison de son père qui fut son héros, lui demande de se relever.

C'est enfin le fantôme de Tyrone qui s'adresse à nous. Une voix aussi blanche que son écorce charnelle revenue d'entre les morts pour livrer sa vérité. Son histoire. La misère économique et affective dans laquelle il a grandi. Un père alcoolique. Une mère qui fait ce qu'elle peut. Etre catholique c'est être au chômage, subir les brimades et les attaques des protestants. Il raconte la peur, la faim, les maisons brûlées, la fuite, les frères qui tombent sous les coups de l'ennemi, l'entrée dans la lutte, les combats. Et cette nuit d'août 1979. La bousculade, les coups de feu, son ami qui tombe, lui qui devient un héros de l'IRA, l'arrestation, les deux années dans les prisons anglaises, les brimades, un secret trop lourd à porter. Ce secret qui le transformera en traite. La libération. L'aveu. L'attente de ses assassins.


ETRE OU NE PAS ETRE

Emmanuel MERIEU réunit dans cette adaptation deux romans de Sorj CHALANDON : "Mon traître" et "Retour à Killybegs". L'auteur, qui fut journaliste pour Libération et spécialiste du conflit en Irlande du Nord, livre un récit en partie autobiographique sur son amitié avec Denis DONALDSON, leader de l'IRA, symbole de l'insurrection dans un Belfast en guerre civile, mais aussi traître absolu, assassiné au lendemain de ses aveux. Le premier livre raconte cette amitié. Le second laisse le traître prendre la parole. Emmanuel MERIEU a choisi une mise en scène ultra épurée pour trois comédiens.

Trois monologues. Trois prestations statiques. Trois voix prenantes qui nous saisissent par la force du texte et de l'interprétation. Trois discours poignants qui nous saisissent d'émotion. Chacun exprime avec ses mots, sa sensibilité la douleur endurée par la trahison. Laurent CARON est Antoine, l'ami blessé, perdu qui s'interroge sur la sincérité de celui à qui il avait donné toute son affection. Brûlant de colère et d'incompréhension il nous saisit par son émotion, sa rage, "Tu es mort il y a des années, quand tu t'es vendu aux Anglais". Désemparé il donne sens aux interrogations de l'ami français. 

Le chanteur guitariste autodidacte Stéphane BALMINO réalise une très belle interprétation pour sa première fois en tant que comédien. Il transmet toute l'émotion, la colère, la déception du fils trahi, abandonné par ce père jusqu’alors auréolé de l'image du héros. Son interprétation de "Wake up dead man" donne un autre sens encore plus profond au texte de U2.

Jean-Marc AVOCAT, figure fantomatique du traître, captive par la sincérité, la souffrance du questionnement de Tyrone, son errance sur terre précédant celle d'après la mort. Pas de cercueil pour le traître. Pas de paix pour lui non plus. Car rien n'est jamais simple, ni pour le traître, ni pour ceux qu'il a trahis, rendant impossible le deuil

Un seul regret sur la scénographie : les projections sur la toile installée sur le devant de la scène ne sont absolument pas visibles par les tous premiers rangs, gâchant une partie du plaisir.

En bref : une adaptation saisissante des romans de Sorj CHALANDON. Une mise en scène épurée qui laisse entendre un texte fort. L'interprétation des trois comédiens laisse le public sans voix pendant de longues secondes après le dernier mot. Un spectacle puissant dont on sort marqué.

Mon Traître d'après les romans de Sorj Chalandon, mis en scène par Emmanuel Meirieu, avec Jean-Marc Avocat, Stéphane Balmino et Laurent Caron.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
2 bis Avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris
Du 4 au 29 janvier 2017
Du mardi au samedi 21h - Dimanche 15h30

Crédit photo @ Mario del Curto / Vidéo Teaser Théâtre de la Croix Rousse

lundi 16 janvier 2017

LA PEUR

UN SUSPENS A LA HITCHCOCK
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Dans toute son oeuvre Stefan ZWEIG décrit avec merveille les tourments intérieurs de ses personnages. Avec LA PEUR il nous plonge dans la psychologie d'une femme tourmentée par sa trahison envers son mari et la peur d'être découverte. Un succès public mérité pour cette prolongation au Théâtre Michel.

L'USURE DU COUPLE


Irène et Fritz sont mariés depuis 10 ans. Deux enfants, un bel appartement, une bonne : la réussite pour cette famille de la classe moyenne. Lui est très pris par son cabinet d'avocats qu'il a ouvert depuis un an. Elle s'occupe entre cours de piano et stylisme, mais ne tarde pas à s'ennuyer. Fritz n'a plus assez de temps à lui consacrer, ne la regarde plus, considère que les activités d'Irène ne sont que divertissement et futilité alors que lui s'occupe de dossiers sérieux. Alors elle succombe au charme de son professeur de piano qui lui sait se montrer attentionné.


Jusqu'au jour où la fiancée du musicien fait éruption dans la vie d'Irène. Elle demande à l'épouse infidèle d'en finir avec cette aventure et enchaîne rapidement sur du chantage. Irène met la main dans l'engrenage et ment chaque jour un peu plus à Fritz, effrayée par le risque qu'il n'apprenne un jour qu'elle l'a trahit.

UN SUSPENS A LA HITCHCOCK

Stefan ZWEIG était maître dans l'art de décrire les tourments de l'âme de ses personnages. Dans LA PEUR ce sont les angoisses d'une femme infidèle qui sont montrées. Comme dans un thriller nous assistons à sa descente dans un enfer personnel. Poursuivie par une femme elle s'enferme dans un cercle pervers dont elle ne sait plus sortir. Malgré sa volonté de mettre fin au chantage elle est incapable d'avouer la vérité à son mari.

Le personnage de la fiancée s'infiltre dans sa vie, dans sa conscience. Elle est troublante. Existe-t-elle vraiment ou n'est-elle qu'une hallucination, reflet de la culpabilité d'Irène. Cette dernière sombre dans la paranoïa confrontée à la double peur d'avouer la vérité à son mari ou que la vérité ne lui soit dévoilée par le maître-chanteur.

Ce soir-là c'est Elodie MENANT qui tenait le rôle d'Irène(qu'elle joue en alternance avec Hélène DEGY). La metteur en scène a su parfaitement transmettre tant dans sa scénographie que dans son interprétation l'enfermement psychique dans lequel s'inscrit Irène. La tension s'installe et comme dans un film d'Hitchcock le suspens monte jusqu'au coup de théâtre final.


Aliocha ITOVICH est un Fritz mature, attentif et préoccupé par l'état de sa femme. D'abord distant car préoccupé par la défense de ses clients et l'évolution de son cabinet, il reste à l'écoute de son épouse, fait des efforts pour se rapprocher d'elle, semble désarmé quand elle devient distante, puis est troublé par son attitude étrange.


Ophélie MARSAUD complète le trio. Elle joue à merveille l'intrigante et angoissante fiancée, manipulatrice et inquiétante figure traumatisant Irène.

En bref : Une très belle adaptation de la nouvelle de Stefan ZWEIG. Elodie MENANT monte et interprète avec brio un drame psychologique dans un huis clos intense. Le suspens est mené comme dans un film d'Hitchcock. Un très beau moment de théâtre

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Reprise  
38 Rue des Mathurins 75008 Paris

Prolongations jusqu'au 26 mars 2017
Jeudi, vendredi, dimanche à 19h - Samedi à 19h15


Vu le 13 janvier 2017 - Théâtre Michel Paris
Crédit photo @Olivier Brajon

ANTIGONE (Sophocle)

INTEMPORELLE

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Pour la réouverture de la Manufacture des Œillets le théâtre des Quartiers d'Ivry présente deux mises en scène d Adel HAKIM avec le Théâtre de Palestine Deux spectacles pour débuter la saison dans cette belle nouvelle salle : ANTIGONE de Sophocle et DES ROSES ET DU JASMIN. Porté par les comédiens du Théâtre de Palestine, c'est une ANTIGONE politique et universelle qui ouvre magnifiquement la saison.

LA TRAGÉDIE THÉBAINE

ANTIGONE est l'une des 7 pièces de Sophocle qui nous soient parvenues. Avec Oedipe Roi et Oedipe à la colonne elle forme le cycle thébain. Antigone et sa sœur Ismène pleurent leurs deux frères Etéocle et Polynice qui se sont entre-tués dans la succession sur le trône laissé vacant par leur père Oedipe. Créon, leur oncle et nouveau roi de Thèbes, organise des funérailles pour le patriote et loyal Etéocle (qui refusa cependant d'honorer le pacte conclu avec son frère et donc de lui transmettre le pouvoir au bout d'un an) mais expose aux chiens le cadavre du traître Polynice (qui s'est révolté contre son frère et  levé les armes contre Thèbes). Antigone refuse cette décision et inhume son frère au nom des Dieux. Créon la condamne à mort. Mais lorsqu'il réalise son erreur et le malheur dans lequel il a entraîné sa famille il est trop tard. Son fils, fiancé d'Antigone, est mort. Antigone et la Reine se sont suicidées.


UNE ANTIGONE TRÈS POLITIQUE


Le plateau carré qui occupe le centre de la scène est vide. En fond de scène un mur troué d'ouvertures carrées ouvertes ou obstruées selon les besoins de la scénographie. Une grande porte centrale symbolise le pouvoir. Deux portes amovibles et discrètes sur chaque côté sont des ouvertures moins protocolaires. Ce mur n'est pas sans rappeler le mur qui s'élève auourd'hui entre l'Etat d'Israël et la Palestine, mais aussi tous les murs qui de part le monde sépare les peuples tout autant que les murs qui s'érigent dans les esprits pour monter les cultures les unes contres les autres.


Le spectacle s'ouvre sur les corps des deux frères amenés par les hommes de Créon. Le roi fait son entrée centrale serrant dans ses bras ses deux nièces éplorées. Chacune va se recueillir devant l'un des deux corps avant d'entamer une danse, comme une transe. Le temps semble suspendu. Laquelle sera Antigone ?

Par sa simplicité, son décor, ses costumes, la mise en scène d'Adel HAKIM renforce le sentiment d'intemporalité de la pièce de Sophocle. Antigone, symbole de la liberté individuelle, illustre le conflit entre la conscience individuelle et la raison d'Etat. le pouvoir des hommes et celui des Dieux.

Joué à la perfection par les comédiens du Théâtre de Palestine le texte a des accents d'une étonnante modernité. Antigone certes s'oppose au pouvoir au nom du devoir, mais elle se place en défenseur des traditions, dans le respect de la famille, elle qui est le fruit d'une généalogie à la destinée tragique. Succédant à cette filiation du refus du destin elle choisit la liberté par l'exemplarité même si cela signifie la mort. Très bravache, violente, en colère mais sûre d'elle, de ses choix, elle se dresse contre celui qui incarne l'autorité. Elle ne se fuit pas la vie, ne se suicide pas. Elle fait oeuvre de civisme et de loyauté à Thèbes. En mourant pour son peuple dans sa contestation de la décision de Créon, elle veut montrer à Thèbes la voie de la justice, et de l'amour. Ne crie-t-elle pas "Je suis faite pour l'amour pas pour la haine" ?

L'histoire d'Antigone nous parle de la relation entre l'être humain et la terre, cette terre natale pour laquelle on peut mourir, comme l'indique le metteur en scène dans sa note d'intention. En inhumant son frère selon la tradition, Antigone incarne la résistance exemplaire.

Et cependant nombreux sont les sujets de société abordés par Sophocle. Sujets qui pour certains n'ont rien perdu de leur actualité. La confrontation entre Antigone et Créon c'est la somme des oppositions : vieux / jeune - homme / femme - loi des hommes / loi des Dieux - parents / enfants. C'est le duel entre l'oppresseur et l'opprimé, l'opposition de deux visions de la société qui se cognent et sombrent dans une lutte fratricide.


Elu meilleur spectacle étranger en 2012 cette adaptation et mise en scène met en lumière la lutte entre deux sociétés, deux visions de la justice.


La musique du Trio Joubran qui entoure le spectacle nous transporte avec magie et nous capture intégralement quand résonne la voix de Mahmoud DARWICH, grand poète palestinien, déclamant un de ses poèmes, hymne à l'amour et à la vie

Antigone de Sophocle
Mis en scène par Adel Hakim
Avec Hussasn Abu Eisheh, Alea Abu Garbieh, Kamel Al Basha, Yasmin Hamaar, Mahmoud Awad, Shaden Salim, Daoud Toutah
Spectacle en arabe surtitré en français

En bref : Une version très politique, portée par une troupe remarquable. Une tragédie grecque d'une étonnante modernité. Une  vision d'amour et d'espoir. Une Antigone intemporelle.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Théâtre des Quartiers d'Ivry
1 Place Pierre Gosnat 92 Ivry sur Seine
Du 5 au 15 janvier 2017


samedi 7 janvier 2017

ORCHESTRE TITANIC

BECKETT CHEZ LES MIGRANTS
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Avec ORCHESTRE TITANIC le bulgare Hristo BOYTCHEV emprunte à l'univers de Becket pour illustrer les aspirations et déconvenues de quatre paumés en lisière du monde, entre passé et futur, entre rêve et réalité, entre est et ouest. Un ton décalé qui manque un peu de magie.

ERRANCE ET DESERRANCE

Ils sont quatre à se répartir l'espace vide de cette gare abandonnée. Meto (Philippe DORMOY)  était chef d'orchestre. Aujourd'hui il erre dans les souvenirs de ses partitions et tente de guider ce groupe d'hommes et de femmes entre deux mondes. Il y a sa compagne Lubka (Evelyne PELLETIER), Louko (Bernard BLOCH) l'ex-cheminot et enfin Doko (Christian PAGEAULT) qui ne peut faire le deuil de cette ourse morte par amour pour lui. Leur vie ne tourne plus qu'entre la quête d'alcool et l'espoir qu'un train s'arrête enfin. Alors ils ne cessent de répéter le moment où l'occasion de partir, de continuer leur route vers un futur salvateur se présentera.

Et puis un jour le train s'arrête. Un homme en descend. Comme par magie Hari entre dans la vie de ces quatre paumés. Ce Godot que l'on n'attendait pas va-t-il être la concrétisation de l'espoir dont cette petite communauté à besoin pour vivre ?

FABLE ONIRIQUE

Ecrit en 2002 ORCHESTRE TITANIC est le fruit d'une commande à l'auteur lorsque la Bulgarie a fait sa demande pour entrer dans l'Union Européenne. Une fable onirique faite d'une écriture décalée, du même ton absurde que le théâtre de Beckett, qui dresse un constant désenchanté de l'Europe et de ses perspectives. Quel avenir offre-t-elle à ces "Karl-Marx Brothers" qui rêvent d'une vie meilleure et dont le seul mantra est "survivre et foutre le camp" ? Un jour, par surprise, Hari, maître de l'illusion, surgit pour les préparer à cet autre monde.

La compagnie Le Cartel travaille depuis 2009 sur les écritures balkaniques. Dans cette comédie philosophique sombre c'est une parabole des rapports Est/Ouest qui est imaginée sous un angle burlesque. Ces quatre pauvres êtres abandonnés sur le bas-côté nous font penser à ces migrants de 2016 qui voient en l'Europe le moyen d'échapper à la misère. Ces trains qui passent sans s'arrêter seraient le visage de cette Europe des peuples favorisés qui avance insensible à la misère qui l'entoure et à ces êtres pleins d'espoir qu'elle attire. Et tel le Titanic c'est l'image de ce naufrage de l'Europe que veut ici montrer le dramaturge bulgare. Il faut en effet se souvenir que le drame du Titanic permis de revoir toutes les normes de sécurité et procédures d'urgence sur les bateaux tant il mit en évidence les carences et faiblesses de ces orgueilleux insubmersibles.

Dans un décor épuré Philippe LANTON met en scène avec sobriété ces quatre anarchistes asociaux et alcooliques attirés par les mirages que fait miroiter l’illusionniste Hari. Un peu trop de sobriété peut-être. Car malgré la qualité de jeu des 5 comédiens, il manque cette magie et cette illusion qui nous permettrait de basculer totalement dans cette fable. Une mention spéciale à la qualité de la bonne sonore.


En bref : Une fable onirique qui sur un ton décalé interroge le spectateur sur l'Europe, cet Eldorado pour les migrants, et la mondialisation. Sobriété de la mise en scène qui manque un peu de magie et peine à nous embarquer malgré la belle prestation des 5 comédiens.

Louko : 
"Hier il est passé cinq trains dans un sens, qui transportaient du sable, et cinq autres dans le sens inverse qui eux aussi transportaient du sable. Quel est le sens, je demande, de transporter du sable à droite et à gauche ? Si on y réfléchit il n'y a aucun sens, mais  si on n'y réfléchit pas, il y en a peut-être un..."


C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Rue du Champs de Manoeuvre 75012 PARIS
Du 10 janvier au 5 février 2017
du mardi au samedi à 20h - dimanche 16h
Durée 1h15

Dates de tournée :
7 janvier 2017 - Théâtre des Deux Rives Charenton le Pont
24 janvier 2017 Ferme le Bel Ebat Théâtre de Guyancourt
14 mars 2017 Théâtre Jean Vilar Suresnes

Crédit photo @DR Orchestre Titanic via blog Mediapart
Vu Janvier 2017 - Théâtre de l'Aquarium

mardi 3 janvier 2017

F(l)AMMES

PORTEUSES D'HISTOIRES
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Après ILLUMINATION(s) L.a Compagnie MADANI revient avec un deuxième volet. Dix jeunes femmes issues de la banlieue. Dix personnalités. Dix silhouettes. Dix voix que l'on n'entend jamais. Dix images de cette diversité de la France. Avec ce deuxième volet de sa trilogie Ahmed MADANI récidive et livre un spectacle d'une grande force, des paroles de femmes.

10 FEMMES LIBRES

Elles sont les porteuses d'histoires du quotidien de ces femmes des banlieues, de ces quartiers dits "sensibles" où beaucoup n'osent aller et ne connaissent que ce qu'en montre une certaine presse. 10 paroles de femmes pour exprimer cette vie qui semble silencieuse tant on ne leur donne jamais la parole. Et pourtant elles en ont des choses à dire, à nous dire. Elles expriment toute la sensibilité féminine de celles qui sont / ont été / seront confrontées à la discrimination ordinaire, au rejet de la part de leur propre pays. "J'ai choisi d'être différente de ma différence" dit la fan de culture japonaise. "Je n'ai pas d'histoire dramatique à raconter, je suis une française moyenne" semble s'excuser celle qui a grandi dans une famille heureuse, loin des clichés misérabilistes. "Je suis de nulle part" s'écrit l'une d'elles, provocant une réaction inattendue. "Nos cheveux sont nos racines" lancent-elles toutes.

Elles ont entre 19 et 28 ans. Elles sont nées, ont grandi à Garges-lès-Gonesse, au Val Fourré, dans le Boulogne ouvrier, à Neuilly sous Bois. Elles assument leurs origines que certains leur reprochent, sont fières de leur filiation, qu'elles viennent de la forêt comme le disait Claude Levy Strauss ou bien de la Guadeloupe. Elles refusent d'être les Pénélope du 21ème siècle. Elles ont fait des études, sont diplômées et foulent aux pieds les clichés sur la misère économique et culturelle des quartiers sensibles, ces zones mises à l'écart des villes. Elles sont gréées de ce que leurs parents leur ont appris.

10 récits, 10 témoignages, 10 voix qui parlent et chantent la liberté d'être soi, quelle que soient la couleur de la peau et la nature des cheveux, d'être française et différente, de porter l'héritage des générations précédentes avec fierté et non comme un fardeau.

ENERGIE ET PROFESSIONNALISME

Là où ILLUMINATION(s) bouillonnait d'énergie, de colère et de mouvement, F(l)AMMES prend le temps de poser ces paroles de jeunes femmes, pour laisser s'exprimer leur sensibilité, leurs doutes, leurs certitudes, leur colère parfois et surtout leur confiance inébranlable. Paroles de femmes battantes, sensibles, émouvantes.

La mise en scène d'Ahmed MADANI respecte ces temps de confession et d'expression en y mêlant des chants a capela qui introduisent des ruptures, des respirations après l'émotion. Les comédiennes amateurs laissent alors éclater toute l'énergie et la fougue de leur jeunesse, de leur colère, comme une danse combattante ou libératrice.

Le décor est simple et épuré. Un fond blanc sert d'écran à quelques projections vidéo. Sur la scène quelques chaises apparaissent et disparaissent au gré des récits. Une scénographie qui laisse la place aux mots, ponctuellement accentuée par le corps.

Il y a chez ces jeunes femmes une énergie positive communicative. Elles s'enflamment et enflamment le public qui se lève unanime pour les saluer à la fin du spectacle. Ahmed MADANI démontre une nouvelle fois quel brillant directeur d'acteur il est. Comme pour les jeunes gens d'ILLUMINATION(s) il donne à ses comédiennes amateurs une aisance, une force, une qualité de jeu et d'expression que certains professionnels pourraient leur envier.

On ne peut que souhaiter un succès encore plus grand à F(l)AMMES afin de permettre de revoir ILLUMINATION(s), et, dans la foulée, donner à la Compagnie MADANI les moyens pour créer le troisième volet de sa trilogie. Dès lors on pourra rêver à un marathon MADANI qui permettrait de vois les trois spectacles d'affilé.


Texte et mise en scène d'Ahmed Madani
Avec Anissa Aou, Ludivine Bah, Chrine Boussaha, Laurène Dulymbois, Dana Fiaque, Yasmina Ghemzi, Maurine Ilahiri, Anissa Kaki, Haby N'Diaye, Ines Zahoré
Création vidéo Nicolas Clauss
Création lumière et régie générale Christophe Séchet
Costumes Pascale Barré et Ahmed Madani
Chorégraphie Salia Sanou
Coaching vocal Dominique Magloire et Roland Chammougon




En bref : après le succès d'ILLUMINATION(s) Ahmed MADANI crée avec F(l)AMMES un volet féminin aussi fort que le volet masculin de la trilogie. 10 jeunes comédiennes amateurs portent avec fougue et énergie une parole forte, authentique et optimiste. Une parole libre et nécessaire pour battre en brèche les clichés sur les femmes de banlieue. Un spectacle à ne pas manquer

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Théâtre de Halles - Avignon OFF 2017
du 6 au 29 juillet 2017
Salle Chapitre - 11h 

C'était à la Maison des Métalos
94 Rue Jean-Pierre Timbaud 75011 Paris
du 16 novembre au 4 décembre 2016

au Collectif 12 - Friche André Malraux 78200 Mantes la Jolie
8-10 décembre 2016

Tournée 2017
Toutes les dates France métropolitaine et Martinique 
sur le site de la Compagnie Madani en cliquant ICI
et notamment
MAC de Créteil - 26 - 28 janvier 2017
Vernouillet - L'atelier à spectacle - 2-3 mars 2017
etc.




Retrouver mes articles sur les précédents spectacles de la Compagnie Madani
- ILLUMINATION(s) - Avignon Juillet 2013


Crédit photo @François Louis Athénas

Vu novembre et décembre 2016 - Maison des Métallos et Collectif 12
Mise à jour du 25/04/17

lundi 2 janvier 2017

LE PETIT MAITRE CORRIGE

UN MARIVAUX CHAMPÊTRE ET JOYEUX

***



Pour finir dans la légèreté un début de saison relevé la Comédie Française sort des cartons un Marivaux oublié : LE PETIT MAÎTRE CORRIGE. Dans la scénographie champêtre imaginée par Eric RUF la troupe démontre une nouvelle fois sa qualité, notamment Adeline d'HERMY, Loïc CORBERY et Christophe MONTENEZ. Une comédie agréable malgré quelques longueurs.

UN MARIVAUX MÉCONNU

C'est en 1734 que fut créé par la troupe du Français cette comédie de MARIVAUX. Retirée de l'affiche après seulement deux représentations, elle fit un petit scandale puis disparu. Eric RUF et Clément HERVIEU-LEGER ont la bonne idée de la ressortir pour une mise en scène emplie de légèreté.


L'argument est simple : un jeune parisien, Rosimond, promis à Hortense, la fille d'un comte arrive chez sa fiancée. Empreint d’orgueil et d'arrogance et comme il sied aux mœurs parisiennes,il se refuse à faire état de ses sentiments à sa promise. Pourtant les deux jeunes gens se plaisent dès le premier regard. Hortense, vexée par l'attitude de son promis décide de corriger le petit-maître prétentieux, avec l'aide de sa servante   et du valet du jeune homme. S'ensuit un marivaudage plaisant entre bourgeoisie de la ville et bourgeoisie des champs, avec ce qu'il faut de rebondissements générés par les trouble-fête, famille, serviteur, amis ou amantes jalouses.


UNE CRITIQUE BIEN ASSAGIE PAR LE TEMPS

La pièce fit l'objet d'une cabale en 1734, les ennemis de Marivaux réussissant à en faire arrêter les représentations. Il a fallu attendre 300 ans pour qu'elle soit à nouveau montrée au public par les comédiens du Français. Si elle résonnait d'accents révolutionnaires à la veille de la Révolution Française le propos en apparaît aujourd'hui bien assagi.

La direction d'acteur de Clément HERVIEU-LEGER en fait une comédie drôle et légère. Il est vrai que la position féministe de la jeune Hortense est une critique des mariages arrangés tandis que Rosimond est une caricature du jeune homme de cour. La langue Marivaux est savoureux, parsemé de bons mots accentués par le parti pris léger de la direction d'acteur. 

A ce petit jeu c'est Adeline d'HERMY qui excelle. Sa composition de Marton, la suivante d'Hortense, est truculente. Elle minaude, pétille, se joue des hommes, tourbillonne et virevolte, est malicieuse et maligne. Une très belle performance qui donne beaucoup de relief au personnage de la suivante, damant souvent le pion à sa maîtresse Hortense. Celle-ci, interprétée avec justesse par Claire de la RÜE DU CAN, est une jeune femme moderne, provinciale qui ne se laisse par impressionner par le promis venu de la capitale. Loïc CORBERY est un caricatural promis soumis aux volontés de sa mère (très juste Dominique BLANC). Il est gauche dans sa suffisance mais fait évoluer son interprétation avec finesse révélant un jeune homme plus sensible qu'il n'y paraissait au premier abord et dont on comprend mieux comment Hortense peut en tomber amoureuse

Tout comme Hortense est contrebalancée par Marton, Rosimond a son pendant avec Frontin, son valet, généreusement interprété par Christophe MONTENEZ. Après sa forte prestation dans LES DAMNES ce dernier se glisse avec réussite dans la comédie, donnant au personnage du valet presque autant de poids que celui de Marton. Christophe MONTENEZ est pour moi la révélation de l'année dans la troupe de la Comédie Française.

Gravitent autour de ce quatuor tout une série de personnages venant perturber ou accompagner le destin des promis. Florence VIALA est une réjouissante Dorimène, amante jalouse qui joue les aguicheuses pour faire capoter le mariage. Face à Dominique BLANC, maîtresse-mère de Rosimond, Didier SANDRE, Comte et père d'Hortense brille de toute sa noblesse et de la force de sa présence scénique. Pierre HANCISSE complète la distribution dans le rôle de l'ami de Rosimond.


SE PERDRE DANS LES DUNES

La scénographie de dunes et d'herbes jaunes d'Eric RUF donne un sentiment intemporel à cette comédie et en accentue l'impression de légèreté. Un décor champêtre ou de bord de mer où souffle le vent, dans lequel les provinciaux batifolent et s'envolent mais qui bouscule les parisiens. 

Le regret est la lenteur de l'action, résultant principalement du texte qui joue beaucoup sur les redites.

Pour en savoir plus :
Pour le Dictionnaire de l'Académie Française un Petit-maître est un jeune homme de Cour qui se distingue par un air avantageux, par un tout décisif, par des manières libres et étourdies.

En bref : Un Marivaux joyeux mis en scène avec efficacité. Une bonne surprise qui offre une bouffée de légèreté pour finir 2016 ou commencer 2017. Adeline d'HERMY y compose une suivante pétillante et Christophe MONTENEZ confirme les grandes qualités démontrées notamment dans LES DAMNES.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?   
Comédie Française  Salle Richelieu
Place Colette 75001 Paris
du 3 décembre 2016 au 24 avril 2017


Relire ma critique des DAMNES - Avignon 2016
Tout savoir sur la programmation de la Comédie Française

Crédit photo @Agathe Pouponey
Vu en décembre 2016 - Comédie Française