dimanche 11 décembre 2016

LA RÉSISTIBLE ASCENSION D'ARTURO UI

LA BÊTE EST DÉJÀ RESSORTIE
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Dominique Pitoiset met en scène une version très politique de l'oeuvre de Brecht et dirige à nouveau Philippe Torreton. Une version percutante à la veille de l'élection présidentielle de 2017, parfois déroutante, qui va faire parler d'elle, mais qui perd de sa portée universelle.

MÉTAPHORE

C'est en 1941, alors qu'il est en exil, que Bertolt Brecht écrit LA RESISTIBLE ASCENCION D'ARTURO UI. 17 scènes qui décrivent, sous la forme d'une métaphore, la montée du nazisme, la prise de pouvoir d'Hitler et ses actions de 1929 à 1938. Plaçant l'action dans le Chicago des années 1930, Brecht montre les similitudes entre les méthodes des gangsters et celle des nazis. L'histoire d'un petit truand qui prend le contrôle de la distribution des fruits et légumes et notamment via le trust du chou-fleur est jonchée de manipulation, de corruption, d'assassinats, de traîtrise.

Arturo UI mixe les traits d'Adolf Hitler et d'Al Capone. Le dramaturge ne laisse aucun doute sur les références historique. Les adjoints du truand ont pour nom Gobbora, Gobbi, Roma. Bras armé du maître de la pègre qui se charge d'éliminer ceux qui se mettent en travers de la route du leader.

Brecht parlait d'une farce historique lorsqu'il évoquait Arturo UI, Une pièce burlesque tournée de telle manière que décrit les moyens mis en oeuvre par Hitler pour atteindre puis asseoir son pouvoir et dont le spectateur ressort armé des outils pour mener sa propre réflexion sur ce qui s'est passé. C'est le principe de la distanciation qui est utilisé, renforcé par l'humour et le rire grinçant. Bernard Dort, grand spécialiste de l'oeuvre de Bertolt Brecht, disait que dans cette pièce la distanciation est plus que jamais "une entreprise de déconditionnement et de destruction des idéologies". 


PERTE DE LA DISTANCIATION


En situant l'action en Allemagne (enfin c'est ce que l'on devine même si la scène finale l'ancre dans la France pré-élection présidentielle d'avril 2017), en nommant les acolytes d'Arturo UI, (coiffé comme Hitler), Göring, Goebbels et Rohm, en citant Dollfuss et l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne, Dominique PITOISET gomme toute la métaphore de l'écriture originale et l'effet de distanciation si important pour Brecht. Pourtant le texte original ne laisse aucun doute sur les personnages et le contexte historique auxquels il était fait référence. Et pourtant en utilisant cette métaphore Brecht donnait à cet épisode de l'histoire mondiale une portée universelle.


L'aspect farce a également disparu pour transformer la pièce en Le parti pris assumé de donner une version hautement politique restreint la portée du texte. En laissant pour dernière image l'inscription "Alors c'est qui UI ?" sur fond de drapeau français, Dominique Pitoiset limite le contexte à l'environnement politique français de 2016 / 2017. Brecht lui-même tire la leçon de sa pièce : "Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde". Le spectateur n'est-il pas capable de l'entendre et de le comprendre de lui-même dans la distanciation voulue par l'auteur ? Le mérite de ce parti pris est toutefois de vouloir démontrer qu'il faut briser la fascination du personnage d'Arturo UI (et des leaders du même acabit) sur les foules. Brecht pour cela avait recours à l'humour noir. Pitoiset lui choisit de dramatiser le propos.


QUELQUES IMAGES FORTES


Cette mise en scène marque néanmoins par quelques images fortes comme l'ouverture sur le chant des esclaves du Nabucco de Verdi chanté à Rome en 2011 et s'achevant sur une pluie de tracts dénonçant les réductions budgétaires pour la culture décidées par le gouvernement de Berlusconi. Symbolique à plus d'un titre. Ou bien le même chant dans sa version française, avec le mot "liberté" qui résonne sur des images d'affrontements entre manifestants et forces de l'ordre et se terminant sur l'incendie du Reichstag : faut-il y voir une incitation à la révolte ou le bras armé d'un pouvoir autoritaire qui veut annihiler toute opposition? Ou encore le décor de morgue et son mur de cases d'où sont sortis les corps des opposants éliminés. Ou enfin le final où Arturo UI harangue le public soutenu par les opposants qui ont retourné leur veste : scène muette avec pour fond sonore le Carmina Burana de Carl Orff et pour visuel le drapeau français sur lequel s'inscrivent successivement les mots "Autorité", "Inégalité" et "Identité". 


Celle qui m'a le plus touchée : pendant le salut Philippe Torreton disperse d'un coup de pied rageur les cendres qu'Arturo UI a disposées au sol en forme de croix gammée. Le comédien a une fois de plus une présence et une aura qui lui permet de se glisser avec maestria dans la peau du rôle titre. Il domine une troupe par ailleurs juste et à l'unisson.

En bref : une mise en scène hautement politique et revendiquée comme telle par Dominique Pitoiset et Philippe Torrenton. Après "Cyrano" le duo revient en force avec une pièce ancrée dans la réalité politique de la France de 2016. Un parti pris qui fait perdre à l'oeuvre de Bertolt Brecht la distanciation et l'humour qui permettait de nourrir la réflexion personnelle du spectateur.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
C'était au Théâtre de Saint Quentin en Yvelines
du 7 au 10 décembre 2016

Autres dates de la tournée :
2016 :Espace des Arts - Chalon sur Saône 13/15 dec 2016
2017 :
Amiens - 5-6 janvier / Le Phénix Valenciennes - 10-11 janvier
Châteauvallon - 17-21 janvier / Sète : 25-27 janvier
CDN Dijon - 31 janvier - 4 février / Théâtre du Gymnase Marseille 7-11 février
Comédie de St Etienne 15-17 février / Sénart - 24-26 février
Perpignan - 2-3 mars / MC2 Grenoble - 7-11 mars
Chambéry - 14-16 mars / La Coursive La Rochelle 21-24 mars
Le Quartz Brest - 29-31 mars / La Passerelle Saint Brieuc - 24-27 avril


Vu à Saint Quentin en Yvelines
Crédit photo @ Cosimo Mirco Magliocca

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