TEMPÊTE SOUS UN CRANE
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DU POIDS DE L'HISTOIRE
Geneviève BERGERON est médiatrice. Avocate, elle a voué sa vie à la paix. Son rôle : aider les peuples en guerre à se retrouver le chemin de la communication pour atteindre la réconciliation. Elle a cinquante ans. Elle n'est pas vieille. Elle est en train de devenir vieille. Sur la route d'Ottawa où elle se rend pour une conférence elle rencontre la tempête de neige qui va l'obliger à se poser dans cet hotel high tech de la capitales anglophone, et sa chambre où même les frigidaires parlent. Une pause inopinée avant de prendre l'avion pour le Mali où la médiation qui l'attend ne lui permet pas d'accompagner sa propre mère à l'enterrement d'un oncle dans cette province du Manitoba. La médiation familiale ce n'est pas vraiment son domaine de prédilection. La tempête de neige qui souffle dehors va s'engouffrer dans sa tête et l'emporter dans ses bourrasques. Elle sera également à l'origine d'une rencontre avec cette autre femme qui partage avec elle la même charge de l'histoire, la petite et la grande, celle de la famille et celle du monde.
Dans un texte à l'écriture ciselée Wajdi MOUAWAD explore les thèmes qui parcourent son oeuvre : la famille, la quête identitaire, la filiation et la transmission, la guerre et l'exil, le langage. SOEURS est le deuxième opus du cycle "Domestique" commencé avec "SEULS", et qui sera suivi par "FRERES", PERE" et "MERE". Pour le construire l'auteur a demandé à la comédienne Annick BERGERON de rencontrer, observer et échanger avec se propre soeur Nayla. "Le mécanisme de conception du spectacle repose sur une polyphonie d'écriture" dit-il. Les différents matériaux utilisés dans cette phase de recherche et de construction constituent "tout autant que le texte les pièces du puzzle..."
S'est construit ainsi ce double personnage féminin en miroir, interprété par une seule comédienne. Il est la double expression de deux femmes qui se sont oubliées et sont vouées à porter des stigmates d'histoires qui ne sont pas les leurs. Dans cet hôtel qui ne lui parle qu'anglais, Geneviève se raccroche au français comme à une bouée de sauvetage. Cette langue anglaise qui se dresse entre elle et l'environnement de la chambre c'est aussi celle qui s'est mise sur la route de sa mère, les poussant à un exil intérieur synonyme de perte d'identité culturelle. Confrontée à une machine déréglée elle prend conscience de tout ce qui est déréglé dans sa vie. Les conséquences de son geste instaureront une sorte de dialogue avec cette autre femme en exil, comme une universalité de l'exil, quelle que soit la forme qu'il prenne. Et au-delà de la perte de la terre d'origine c'est la globalité de l'identité de l'individu qui est questionnée.
LA VIDEO COMME ELEMENT DE LANGAGE
Dans ces deux mondes de solitude un instrument tient une grande place : le téléphone. Omniprésent il est le lien avec le reste du monde, un des modes d'expression du langage qui semblent tous vouloir se dérégler au cours de cette nuit. Lien avec cette famille qui est si loin, lien qui permettra peut-être de retrouver cette sœur disparue.Le langage, élément fondamental du travail de Wajdi MOUAWAD. Si essentiel qu'il utilise tous les supports possibles dans une mise en scène qui ne ne laisse rien au hasard et constitue un travail complet. La scénographie intègre la vidéo non comme un accessoire de décor mais comme un élément de langage. Elle ne ponctue pas le texte ou le jeu, elle l'accompagne, le complète, offre un autre angle de vue. Elle forme un tout avec le décor, le texte, le jeu des comédiens, l'ambiance sonore. Les dessins d'Emmanuel CLOLUS sont d'un graphisme remarquable, offrant un contraste avec les comédiennes qui s'y incrustent d'une manière très naturelle.
La subtilité de la scénographie s'enrichit de la lumière mais surtout du son. De la voix de Ginette RENO dans la voiture au verre qui se brise, de la voix du réfrigérateur à la musique du réveil, pas un son, pas une note qui ne fasse mouche. Travail remarquable de Eric CHAMPOUX, Eric Le BREC'H, Emmanuelle THOMAS, Dominique DAVIET et Wajdi MOUAWAD pour une utilisation extrêmement intelligente de la technologie.
Seule en scène Annick BERGERON est Geneviève, émouvante et drôle, qui réalise soudain à quel point sa coupe est pleine, et Leila, personnalité tout aussi énergique à la sensibilité riche. Deux femmes que leur parcours rendent soeurs. La justesse et le naturel de son jeu nous transportent sur des vagues d'émotions, de l'auto-dérision à la colère, de la patience et la compassion à l'éclatement. Et si le début de la pièce comporte quelques longueurs je suis sortie complètement séduite par ce spectacle, déjà impatiente d'en découvrir la suite, et frustrée d'être passée à côté des précédents spectacles du dramaturge libano-franco-québécois.Je comprends mieux pourquoi il fait salle comble à chacun de ses passages en France.
En bref : Après "Seuls" Wajdi MOUAWAD continue son exploration de la famille et sa réflexion sur la quête identitaire au travers d'un texte drôle et émouvant portée par la talentueuse et superbe Annick BERGERON. Un texte à multiple niveaux de lecture.
C'EST OU ? C'EST QUAND ?
En bref : Après "Seuls" Wajdi MOUAWAD continue son exploration de la famille et sa réflexion sur la quête identitaire au travers d'un texte drôle et émouvant portée par la talentueuse et superbe Annick BERGERON. Un texte à multiple niveaux de lecture.
C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Place du Trocadéro
Métro : Trocadéro
Du 9 au 18 avril 2015
Crédit photo @Pascal GELY
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