DU POIDS DES MOTS ET DU SOUVENIR
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IL ÉTAIT UNE FOIS
Oubliez le conte de fée, surtout si vous n'avez en tête que la version de Disney. Le conte entré dans notre culture par la transcription de Perrault nous parle d'une très jeune orpheline perdue dans le monde des adultes, portant le fardeau de la mort de sa mère, subissant les mauvais traitements de sa belle-famille suite au nouveau mariage de son père, et trouvant le salut dans l'amour. Disney en donne une version qui fait rêver les petites filles qui attendent leur Prince Charmant. Joël POMMERAT s'empare de cette histoire pour la ré-écrire et en retenir la confrontation d'une enfant au deuil et à la difficulté de se construire et de grandir. Son héroïne est écarquillée entre le poids du souvenir et de la douleur teintée de culpabilité de la perte de l'être aimé et la nature joyeuse de l'enfance qui n'aspire qu'à jouer et vivre son insouciance. Mais comment laisser libre court à une imagination débordante lorsque l'on grandit brimée, dans un environnement dominé par la mal-traitance et la méchanceté.Sandra est une jeune enfant lorsque sa mère malade tente de lui livre ses dernière paroles dans un souffle, sur son lit de mort. La jeune fille croit entendre une promesse qu'elle devra tenir : pour que sa mère ne meurt pas "pour de bon" elle devra penser à elle à chaque instant, De cette phrase mal prononcée et mal entendue la fillette fera l'obsession de sa vie, se laissant dépasser par une mission trop lourde pour ses frêles épaules d'enfant. Alors, lorsque sa belle-mère et ses filles frivoles en font leur souffre douleur, avec un père trop faible pour s'opposer à sa nouvelle épouse et protéger sa propre fille, Sandra accepte avec résignation et sans broncher toutes les consignes, toutes les marques de dénigrement, comme autant de séances d'auto-flagellation en punition des moments où elle n'aurait pas tenu sa promesse, comme si elle devait porter la responsabilité de la mort de cette mère aimée.
COMMUNICATION BROUILLEE
La première partie installe le "mal-entendu" et ses conséquences. Dans une maison de verre contre laquelle les oiseaux se jettent aveuglément, Le seul lieu fermé à la lumière du jour semble être cette cave où est installé le lit de la fillette. Dans un décor minimaliste dans lequel les espaces prennent naissance grâce au magnifique travail de scénographie et de mise en lumière de Eric SOYER (assisté de Gwendal MALLARD), les personnages s'installent. Tout ne semble que malentendus et communication brouillée.Et puis Sandra fait connaissance de la fée. Commence alors la deuxième partie qui s'annonce plus lumineuse avec la perspective du bal. La petite fille va alors rencontrer un Prince tout aussi perdu qu'elle dans ce monde d'adulte. Elle vit au rythme de sa montre qui lui rappelle qu'elle ne doit pas oublier sa mère (ah vous dirai-je maman....), lui ne vit que dans l'attente du rendez-vous téléphonique avec sa mère qu'il croit partie en voyage. Autre illustration de la difficulté de dire : son père n'a pas eut le courage de lui avouer qu'elle est morte depuis 10 ans.
POÉSIE ET HUMOUR
Dans ce spectacle qui déstructure les codes du conte de fée il est avant tout question des mots, on l'aura compris, de la parole et de la force de son expression (ou de son absence d'expression). Joël POMMERAT nous donne une écriture plus profonde du récit. Et loin de tomber dans le larmoyant il y a dans cette mise en scène assez sombre au départ beaucoup de poésie et énormément d'humour. L'attitude de la belle-mère lors du bal, le ridicule de sa perception de sa rencontre avec le Prince, le détournement de la chaussure de verre, l'essayage de la robe de Cendrillon, autant de touches d'humour qui allègent le propos.Deborah ROUACH est une Cendrillon espiègle, facétieuse, parfois résignée mais toujours rebelle, vive, pleine de malice enfantine. Face à elle Catherine MESTOUSSIS est une irrésistible mégère, sûre d'une beauté depuis longtemps fanées, une femme tyrannique pour tout son entourage, suffisante de bêtise. L'ensemble de la troupe est remarquable et nous offre un spectacle d'une grande intensité. Les scènes se succèdent avec fluidité et la mise en scène ne souffre d'aucun temps mort. On rit, on est ému, on espère, on respire. Un grand et très beau moment de théâtre.
En bref : Pommerat revisite l'histoire de Cendrillon pour créer une histoire toute en poésie et profondeur et un univers parfois sombre, souvent lumineux et toujours enchanteur. Un succès largement mérité qui ne se dément pas depuis sa création en 2011 à Bruxelles, porté par des comédiens brillants. Un "must see" indiscutablement.
C'EST OU ? C'EST QUAND ?
C'était au Théâtre de Saint Quentin en Yvelines le 22/11/2014
En tournée en 2015
Prochaines dates en cliquant ici, dont
Bayonne : Scène Nationale les 2 et 3 mars 2015
Bruxelles : Théâtre Nationale - Du 10 au 21 mars 2015
Mais aussi Le Mans, Poitiers, Chatenay Malabry, Reims et Thionville en 2015
Crédit photo @Cici Olsson
j'aime bcp l'univers de Pommerat, mais je n'ai pas vu celui-là!
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