jeudi 29 juin 2017

LE RADEAU DE LA MEDUSE

UN RADEAU TRÈS ACADÉMIQUE

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Pour le spectacle de la promotion 2016 de l'ENS Thomas JOLLY a choisi un texte peu connu relatant la dérive de 13 enfants en 1940. Un texte sombre mis en scène avec beaucoup, trop, de théâtralité et qui peine à émouvoir.

DES ENFANTS DANS LA GUERRE

Septembre 1940. Pour protéger leurs enfants les anglais envoient leurs enfants par bateau vers le Canada pour les mettre à l'abri des bombes allemandes. L'un de ces bateaux est abattu par une torpille allemande. Quelques enfants parviennent à survivre sur des canots de sauvetage. Le texte de Georg Kaiser raconte les 7 jours de dérive de 13 de ces enfants, comment 11 furent sauvés et pourquoi les deux autres ne le furent pas.

Le récit historique nous parle du drame vécu par de jeunes enfants dont les plus vieux avaient une douzaine d'années. Alors que leurs parents faisaient le sacrifice de les voir partir pour les éloigner de la fureur des hommes, les enfants se retrouvent abandonnés à eux-mêmes dans des circonstances dramatiques. A bord de ce canot c'est l'humanité dans toute sa cruauté qui est résumée par l'écrivain allemand expressionniste.

Seuls sur cette embarcation fragile ils vont devoir gérer la situation pour espérer être sauvés. Si on peut penser que les conditions de vie dans une ville bombardée les ont déjà un peu endurcis, ce sont toujours des enfants. Confrontés à la survie ces garçons et ces filles pas encore sortis de l'enfance vont devoir réagir en adulte. C'est le parti pris de la mise en scène de Thomas JOLLY. À l'exception du plus jeune, surnommé Petit Renard par ses compagnons d'infortune, tous oublient qu'ils n'ont que 10 à 12 ans pour immédiatement reproduire les schémas des adultes : organiser la sécurité, le rationnement des maigres provisions, de l'eau. Très vite l'influence de la religion envahit le canot et le spectre de la cène va polluer les relations. Anne et Alan se distinguent des autres, tels Adam et Ève et le couple originel soumis à la tentation du mal. Victimes d'un coup de foudre réciproque ils s'affrontent sur le plan des idées. Anne est envahie par la peur du chiffre 13. Alan la contrecarre par son humanité. Au prix d'un stratagème qui fera des autres enfants ses complices Anne finira par faire valoir son point de vue, faisant de Petit Renard, l'enfant roux différent, le bouc émissaire et la victime expiatoire.

C'est une vision très sombre de l'humanité que nous donne Kaiser. Pour lui l'enfant n'est pas l'espoir ni l'avenir de l'humanité. Mis en situation de survie il se conduit comme les adultes, devient manipulateur, orgueilleux. Aucun salut ni aucune rédemption ne semble possible. C'est l'acceptation du pire ou la mort. Il faut se souvenir que Kaiser écrivit son livre entre 1940 et 1943 alors qu'il était en exil et que ses livres étaient interdits.


LA MARQUE JOLLY

On retrouve dans la scénographie la patte Thomas Jolly : l'ambiance sombre du jour finissant, de la nuit ou du brouillard (il n'a donc jamais fait jour ni soleil pendant ces 7 jours de dérive ?), les faisceaux lumineux qui zèbrent le ciel, renforçant le dramatique de la situation. La mise en scène évite habilement  l'écueil de la vision statique du canot dérivant. Seul élément de décor le canot est sans cesse en mouvement sans être ballotté pour ne pas donner au spectateur le mal de mer. Il se présente sous différents angles à l’œil du spectateur, permettant de jolies images et des plans très cinématographiques.

Mais le parti pris de direction d'acteur ne permet pas d'assurer l'adhésion du public comme en attestent les applaudissements longs à se déclencher et globalement en retenue. Thomas JOLLY ne voulait pas que ses acteurs jouent a faire l'enfant. A trop vouloir les laisser être eux mêmes, c'est-à-dire des jeunes adultes, on perd la dimension de l'enfance et de l’adolescence. Seule la très belle scène du mariage permet d'imaginer un groupe de gamins jouant aux adultes pour passer le temps tout en rigolant. Jusqu'à ce que l'on comprenne ce que cachait cette mise en scène.

On aurait pu penser que s'agissant d'un spectacle de fin de formation il pourrait donner l'occasion à chacun des jeunes comédiens de se mettre en valeur. C'est l'esprit de groupe qui globalement est retenu. Derrière les visages grimés de blanc et de gris seuls quelques individualités ressortent. La voix d'Anna se fait théâtrale et manque d’émotion, crie plus qu'elle ne parle. Alan s'en tire mieux avec un jeu un peu plus naturel. Les autres personnages sont très secondaires. Dommage, on aurait souhaité avoir plus d’éléments pour pouvoir juger du potentiel de ces étudiants.

Il faudrait voir dans ce radeau une symbolique de la problématique actuelle des migrants. J'y vois surtout une dénonciation de l'obscurantisme des religions, une condamnation de pratiques sectaires, une absence de foi dans l'humanité.

Le Radeau de la Méduse, de Georg Kaiser, mis en scène par Thomas Jolly, avec Youssouf Abi-Ayad, Eléonore Auzou-Connes, Clément Barthelet, Romain Darrieur, Rémi Fortin, Johanna Hess, Emma Liégeois, Thalia Otmanetelba, Romain Pageard, Maud Pougeoise, Blanche Ripoche, Adrien Serre

En bref : un radeau sombre, d'une grande esthétique visuelle, porté par des comédiens prometteurs mais au jeu un peu trop académique pour susciter l'émotion.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Odéon - Ateliers Berthier Paris 17e
du 15 au 30 juin 2017

Crédit photo @Jean-Louis Fernandez
Vu juin 2017 - Odéon Paris

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