jeudi 23 mars 2017

MICHAEL HIRSCH - INTERVIEW

RENCONTRE AVEC UN ÉTERNEL ENFANT 


Depuis trois ans il vit une aventure incroyable avec son spectacle POURQUOI ? Après deux saisons à Avignon, au Studio Hébertot puis au Lucernaire à Paris et en tournée en France, Michaël Hirsch a un planning bien chargé pour 2017 puisque nous le retrouverons à Avignon cet été (à 17h45 au Roi René) avant qu'il ne reparte compléter son tour de France. Enfant de son siècle il maîtrise parfaitement les réseaux sociaux : twitter, facebook, mais aussi sa chaîne Youtube sur laquelle il diffuse chaque mardi à 17h une nouvelle "Lettre ou ne pas lettre". Le  lundi 27 mars il sera le maître de cérémonie d'une soirée consacrée à la liberté de la presse et de l'expression à l'Unesco dans le cadre de la semaine de la Francophonie. 

Cet amoureux des mots, d'une extraordinaire gentillesse et générosité sur scène et dans la vie, m'a accordé quelques minutes de son temps pour une interview. C'est dans le restaurant du Lucernaire où il se produit depuis le 18 janvier 2017, que nous nous sommes retrouvés. Un entretien riche que j'ai plaisir à partager avec vous. J'aurais voulu que toutes mes questions commencent par "Pourquoi" mais je n'ai pas son talent pour jouer avec les mots.

Théâtre Côté Coeur : Bonjour Michael. Merci d'avoir accepté cet entretien. Pour commencer : pourquoi un spectacle qui s'appelle "POURQUOI ?"

Michael Hirsh : Parce que je ne suis toujours pas sorti de l'âge du "Pourquoi". J'essaie de rester un grand enfant, pour garder ce regard un peu naïf sur le monde et me donner envie en permanence de ne pas être trop sérieux même si tout nous pousse à l'être. Quand j'ai commencé à écrire les textes je n'avais pas imaginé la vie de cet homme-là. Mais je me suis rendu compte que ce qui reliait tous ces textes c'est leur questionnement sur le monde. Parmi toutes les questions celle qui correspond le plus à ce personnage et à ce que je suis c'est le "POURQUOI ? ".C'est une porte ouverte merveilleuse à la fois sur la fiction et pour parler de l'absurdité du monde.  j'avais envie d'emmener les gens dans un univers autre que le quotidien, parce que les plus belles émotions que j'ai vécu au théâtre c'est parce qu'on m'emmenait ailleurs. Le personnage est à la quête du sens de la vie en général et le "POURQUOI" est son élément.

Que ressens-tu lorsque l'on te compare à Raymond Devos ou à Pierre Desproges ?

Mon ressenti a évolué. Au tout début je n'y ai pas cru. Je me suis dit que c'était de la flatterie. Et puis après j'y ai trop cru, j'étais vraiment flatté. Ce sont des gens pour lesquels j'ai une estime immense. Je les ai tellement regardés, écoutés. Ils ont eu une influence considérable sur ma vie. J'ai un peu un caractère d'éponge. Ils font partie de moi.Il y a eu une période où c'était un poids que d'être comparé à eux pour un premier spectacle d'humour. Pour moi aujourd'hui c'est une grande chance et un honneur. Un honneur au sens médiéval du terme. Certains viennent voir le spectacle parce que des journalistes ont fait ces comparaisons. Dans la catégorie d'humour que je défends nous ne sommes pas nombreux et c'est bien qu'il y ait eu ces gens-là avant moi. En même temps c'est aussi un peu une responsabilité et quand je monte sur scène j'ai comme un honneur à défendre [en portant ces deux grands humoristes comme références]. Tu sais c'est Lopé de Vega qui appelait les comédiens "les chevaliers du miracle" car à l'époque du théâtre de tréteaux chaque soir ils créaient un miracle avec rien.

C'est ce qui se créé aussi avec POURQUOI ? Il y a de plus en plus d'interaction avec le public.

La semaine du 7 mars on va fêter la 200ème du spectacle. Créer cette interaction avec le public crée un vent nouveau pour moi. Avant de monter sur scène je me sens comme un funambule. Je dois être très concentré. J'ai ma trajectoire, je sais que le bout du fil est là-bas, et par moments, au milieu du fil, je vais avoir envie de jouer un peu avec l'équilibre. Quand je me permets cette petite phrase en plus, ce petit jeu en plus, le résultat est bon, car la tension galvanise.

"Avant de monter sur scène je me sens comme un funambule"

En quoi l'expérience d'Avignon a-t-elle été formatrice ?

Pour le fait de jouer tous les jours et d'être dans une énergie puissante. Quand il m'arrive d'être fatigué je repose à Avignon, à la puissance de beaucoup donner et de recevoir énormément, tout le temps. Dans la rue tu distribues un flyer et hop tu as repris un peu d'énergie. Le contact avec les gens, cette énergie, ça m'a appris à être plus généreux. Les jours où je sens que j'ai le pied sur le frein je lâche et c'est là que j'ai les meilleurs retours. Je fais le spectacle sur l'énergie du public. Et c'est merveilleux de recevoir autant.

Dirais-tu que faire Avignon (le Off) est indispensable pour un spectacle aujourd'hui?

Ça dépend du spectacle. Avignon est un lieu particulier. Tous les spectacles ne marchent pas et si un spectacle ne marche pas à Avignon ça ne veut pas dire qu'il ne marchera pas ailleurs. Inversement ce qui marche à Paris peut ne pas y plaire. Avignon c'est un public de connaisseur, de gens qui aiment profondément le théâtre et qui ont aussi un esprit de découverte. Le côté merveilleux d'Avignon c'est que pendant 3 semaines il y a tout le monde, toute la profession et que les barrières tombent. Dans la rue je peux aller voir Alex Lutz ou des grands comédiens, metteurs en scène que j'estime et leur dire "merci pour ce que vous faites". Et puis Avignon m'a permis de décoller parce que tout le métier était là, parce que ça a tout de suite été un succès public, parce que j'ai pu partir en tournée. Grâce à mes deux Avignon j'ai fait le tour de France. La vie de "Pourquoi" n'est pas terminée, il y a à nouveau Avignon cet été et une tournée jusqu'à décembre. C'est rare pour un premier spectacle. Je me rends compte de la chance que j'ai, des responsabilités aussi. Comme disent les super héros américains "pas de grand pouvoir sans grandes responsabilités". A la fin de l'année on arrivera à la 300ème.

Je me rends compte de la chance que j'ai, des responsabilités aussi"

D'où te viens cet humour littéraire ?

De la découverte de Raymond Devos. Une révélation. J'ai été pris du virus du jeu de mots alors que j'étais très mauvais en français. Aujourd'hui mes parents n'en reviennent pas de voir tous ces livres dans mon appartement. La langue française ce n'est pas que des règles de grammaire. C'est un formidable terrain de jeu. C'est important de donner envie de bien parler le français car mieux on connaît la langue plus on s'amuse et plus on a de chances de bien se comprendre les uns les autres.

Comment est né "Lettre ou ne pas Lettre" ?

De l'envie de me frotter au métier de chroniqueur. Ce qui est formidable avec le seul-en-scène c'est le sens du danger tous les soirs devant les spectateurs, mais pas dans l'écriture. Le spectacle est écrit, peut bouger un peu mais je n'écris pas de grandes choses. J'avais besoin de parler d'autres choses, de choses qui me touchent. En cherchant un concept je trouvais rigolo de se dire on va faire une correspondance 2.0, des lettres sur Youtube, réseau qui peut être soit un journal intime, soit un cours. Ce qui m'amuse c'est de faire des lettres à l'heure des SMS Je trouve aujourd'hui ce que j'étais venu chercher au départ : un besoin de créer et une mise en danger permanente. Je tiens à ce rendez-vous du mardi. Quelque chose de très fort est en train de se créer. Je ne percevais pas ce que pouvait être la relation avec une communauté en ligne, avec ce rendez-vous en ligne, qui me manque aussi si je ne peux pas le tenir.

Celle d'hier, 7  mars, veille de la  journée des droits des femmes, était adressée à Simone Veil

C'est vraiment une lettre particulière. C'est la première fois que "Lettre ou ne pas lettre" est un hommage. C'est un personnage qui me bouleverse de courage, d'abnégation, de dignité. Pour la première fois je n'ai pas cherché à être drôle. Je vais parler de sa vie, de l'avortement. Je voulais donc écrire quelque chose de touchant pour dire autour de moi que c'est une femme importante. C'est un pan de mon travail sur internet que je vais développer, parler avec les gens des gens que j'aime bien. Nous sommes dans un pays où on parle rarement des gens qu'on admire sans être pris pour quelqu'un qui fait de la lèche. J'ai envie de parler des gens que j'admire plutôt que de faire des blagues sur nos hommes politiques qui sont tout sauf des modèles, pour la plupart. Jean-Laurent Cochet chez qui j'ai été élève pendant longtemps disait "Dans le monde dans lequel on est il faut savoir se créer des oasis", de petits lieux de douceur, où on se retrouve soi-même. C'est pour cela qu'on a besoin de modèle. Il y a des gens dont on parle très peu, comme Jules Renard

"Dans le monde dans lequel on est il faut savoir se créer des oasis" 

Jules Renard, un auteur tombé en désuétude

Alors que c'est prodigieux Jules Renard. Son journal est une merveille à avoir sur sa table de chevet pour en lire 3 lignes chaque matin et chaque soir. C'est une source intarissable de bonheur. Quand on a ça à portée de la main et qu'on s'en prive.

Quand tu étais enfant est-ce que tu saoulais tes parents avec des "Pourquoi" ?

Je crois que oui. J'ai toujours été hyper curieux

Y'a-t-il un "Pourquoi" resté sans réponse ?

Il y en a plein, mais ce ne sont pas des pourquoi d'enfant. Ce sont des pourquoi d'adulte. Par exemple "Pourquoi on s'impose des mauvaises nouvelles à longueur de journée". Nous nous jetons sur nos smartphones. Mais est-ce vraiment important de s'infliger ces mauvaises nouvelles qui de plus nous rendent impuissants. On se sent coupable de ne pas faire grand-chose mais c'est plus fort que nous on a besoin de se faire mal.

Quelque chose de plus joyeux : ton premier souvenir de théâtre ou de spectacle vivant ?

"La Vie de Galilée" avec Nicolas Bouchaud, mis en scène par Jean-François Sivadier, à Thionville. Là je me suis dit j'aime le théâtre, ce lieu où on peut nous emmener ailleurs et être ensemble, cela me fait un bien fou. C'était une expérience très forte. Après il y a eu des humoristes comme Gad Elmaleh. Je me suis dit "quel pouvoir, quelle force"

Et tu as quand même fait une école de commerce

J'avais une sensibilité créative. J'ai toujours créé des choses, mais à 18 ans je n'avais pas le courage de me lancer dans une carrière artistique. Ça me paraissait trop aléatoire. Je viens d'une famille où mes parents on des parcours classiques et je n'étais pas prêt à cela. Mais aujourd'hui je ne le suis toujours pas. C'est plein d'inconscience. Tout ce qui se passe là dans ma vie c'est vraiment des moment d'inconscience profonds entrecoupés de quelques moments de lucidité. A un moment je vois ma bonne étoile dans le ciel et je rebaisse la tête et j'avance. C'est plein d'insouciance et d'inconscience.

J'envie cette inconscience et cette insouciance

En même temps c'est ce qui me permet de tenir. Parce que ce métier est très in-sécurisant. Dans un monde où tout se programme à l'avance les métiers artistiques imposent une relation au temps très différente du reste de la société. Ma manière de ne pas avoir peur du lendemain c'est de ne pas y penser.

Quel est ton mot préféré ?

En ce moment c'est "POURQUOI?".

Le mot que tu ne pourrais pas prononcer sur scène ?

[longue réflexion] Concupiscent. Pourtant il y aurait un paquet de jeux de mots à faire avec. Après je ne sais pas s'il y a des mots que je n'aimerais pas dire sur scène. Les mots existent pour une bonne raison et dans la bouche d'un personnage, si c'est justifié, cela peut avoir un sens. Si c'est dire "putain" pour dire "putain ça n'a pas de sens. Si c'est pour le personnage le fait de dire "putain" tout le temps révèle quelque chose de lui, pourquoi pas.

Tu n'as pas beaucoup de temps pour voir des spectacles. Y'en a-t-il un que tu recommanderai en ce moment ?

LA PEUR au Théâtre Michel. Je l'ai vu à Avignon et ça a été une grosse claque. J'adore quand le théâtre nous transporte. Cette pièce a un pouvoir merveilleux. Belle interprétation, belle mise en scène. J'étais pris dans cette histoire, tiraillé, et je trouve que cette fin est éblouissante.

"J'adore quand le théâtre nous transporte"

Ton prochain challenge ?

Le challenge est permanent, le fait de jouer 5 soirs par semaine, de faire "Lettre ou ne pas Lettre".

Ton challenge c'est de tenir

Exactement. Mais j'ai aussi des envies, D'écrire plein d'histoire, de la fiction. Peut-être aussi un autre programme sur ma chaîne Youtube, en parallèle. "Lettre ou ne pas lettre" la difficulté c'est que ça demande beaucoup de temps pour l'écriture jusqu'à ce que j'arrive à un niveau de satisfaction.

Dernière question : le génie de la lampe t'accorde un vœu, un seul. Lequel ?

D'être heureux chaque jour

Ce que tu es aujourd'hui ?

Oui. C'est amusant, c'est arrivé totalement fortuitement mais chaque soir j'ai l'impression d'avoir une rencontre avec moi-même. Au moment où les spectateurs applaudissent et où la pression redescend, je me dis "qu'est-ce que je suis heureux"

Et je te souhaite qu'elle dure encore longtemps. Merci Michaël

INFORMATIONS PRATIQUES


Michaël Hirsch est à l'affiche au
53  Rue Notre Dame des Champs Paris
Jusqu'au 2 avril 2017 - du mercredi au samedi à 21h30 - dimanche 20h

Retrouvez toutes ses dates de tournées en cliquant ICI

Rendez-vous également à Avignon dans le Off 2017, tous les jours du 8 au 30 juillet à 17h45 au Théâtre du Roi René

(Re)découvrez les "Lettres ou ne pas lettres" sur la chaine Youtube de Michaël en cliquant ICI

Retrouvez ma chronique sur LA PEUR à l'affiche du Théâtre Michel en cliquant ICI



Entretien réalisé le 8 mars 2017 au restaurant Le Lucernaire
Crédit Photo @Fabienne Rappeneau

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